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Le site principal d’écriture(s) n’est plus ici  mais en suivant l’adresse :

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flânerie quotidienne

fq – janvier 2020

Se former, s’informer, expérimenter : quelques lieux de savoir en bibliothèque publique

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La bibliothèque publique est un lieu multidimensionnel de savoir, au cœur de la cité et via des territoires virtuels. Elle propose des espaces partagés par des communautés aux usages très différents. Depuis une génération, le web, dernier né des lieux de savoir, s’incorpore progressivement dans les espaces physiques et virtuels de la bibliothèque. Le catalogue en ligne de la bibliothèque a été le premier dispositif d’élargissement du partage des savoirs à l’ère numérique. Dès son origine, la bibliothèque a été un lieu particulièrement propice à l’éducation et à la formation des individus. La dénomination Learning Center le réaffirme mais semble limiter les autres fonctions et usages de la bibliothèque publique.

Si elle est un lieu de prescription et de reconnaissance des savoirs, la bibliothèque est aussi cet espace partagé aux pratiques variées des usagers-flâneurs-consommateurs-lecteurs, endroit particulièrement adapté aux mobilités, à la sérendipité et au « braconnage » comme l’a si bien décrit Michel de Certeau 1.

Aujourd’hui, le développement des communautés d’intérêt sur le modèle pair-à-pair, via la Toile, impacte les formes et usages traditionnels des pédagogies autour de la transmission et des échanges de savoirs.

Le numérique pour les bibliothèques élargit les chemins d’accès aux savoirs et transforme leurs transmissions à tous les niveaux : de l’offre de formation aux formes d’accueil des publics, en terminant par les propositions kaléidoscopiques de leurs actions culturelles. Auteur de la monumentale – mais jubilatoire – somme encyclopédique Lieux de savoir, Christian Jacob rappelle qu’un lieu de savoir est à la fois un lieu de construction, de matérialisation, d’objectivation, d’inscription et de circulation sociale.

Ainsi, aux premières formations d’initiation aux outils pour lutter contre la fracture numérique, les bibliothèques intègrent aujourd’hui des ateliers diversifiés pour enrichir l’encyclopédie Wikipédia, corriger et éditer à la manière de moines copistes les livres libres de droit de la bibliothèque Wikisource, ou apprendre la grammaire du code. Elles développent des pratiques collaboratives et créatives comme celles autour des machinimas, ces petits films fabriqués à partir des univers vidéo-ludiques, ou encore, renouvellent la forme de l’atelier d’écriture en y associant un blog, cet outil symbole de la démocratisation de l’écriture.

Plutôt qu’un état de l’art exhaustif, voici un choix de quelques lieux emblématiques d’une bibliothèque publique d’aujourd’hui. Lieux que l’on peut pratiquer seul, en groupe ou de manière coopérative, lieux qui égrènent des pédagogies adaptées.

La bibliothèque a suivi la tectonique numérique. Dès les années 1960, elle a investi les nouvelles possibilités de stockage des données (microfiches, cédéroms, base de données…) ; numérisé des collections du patrimoine écrit et permis leur consultation ; développé une informatique de gestion interne pour construire des catalogues informatisés (SIGB) ; favorisé la connaissance et la diffusion des logiciels libres (première logithèque en France à Caen, en 1984) ; proposé des postes d’accès au web pour les publics dès le développement du réseau des réseaux, ainsi que des formations pour lutter contre la fracture numérique. Les bibliothèques ont créé de nouveaux profils (informatique, animateur multimédia, médiateur numérique) et de nouveaux départements (informatique, espaces multimédias, médiation numérique), mêlant « inextricablement le concret et l’abstrait, le matériel et l’immatériel, le technique et le mental, l’individuel et le social » pour reprendre Christian Jacob 2.

Des ateliers contre la fracture numérique,
individualisés et collaboratifs

Très vite, les bibliothèques ont proposé des ateliers d’initiation aux logiciels de traitement de texte les plus utilisés, permettant la rédaction d’un curriculum vitae ou d’une lettre de motivation. Des partenariats avec Pôle emploi – par exemple – ont été régulièrement passés. Des sessions pour apprendre à naviguer sur le web, sur le portail de la médiathèque, ou pour savoir utiliser les outils comme le célèbre « mulot » présidentiel complètent ces premiers apprentissages. Les participants trouvent dans ces ateliers une écoute, une aide profilée à leurs demandes de façon collective ou individualisée.

La dématérialisation totale des procédures administratives remet aujourd’hui en avant les ateliers de lutte contre la fracture numérique proposés par les bibliothèques depuis l’arrivée des premiers ordinateurs. La formation initiale des bibliothécaires peine encore à rattraper les besoins actuels, notamment pour intégrer une culture de l’expérimentation et de la bidouille qui n’est pas encore entièrement « raccord » avec la culture administrative. Des associations comme « We tech care » viennent désormais accompagner la mutation nécessaire des collectivités, et ceci malgré plusieurs dispositifs développés depuis 1998 comme les espaces publics numériques (EPN).

Le développement des postes d’accès à Internet et du wi-fi a renforcé la nécessité de développer des ateliers d’inclusion numérique pour les publics les plus éloignés. Ce qui incite à une réflexion sur les limites d’intervention du bibliothécaire : jusqu’où aider les personnes dans cet accompagnement ? Comment rendre l’usager autonome et ne pas faire « à sa place » ou à la place de l’organisme responsable de la dématérialisation ? Est-ce vraiment la mission d’un bibliothécaire d’aider une personne à remplir sa déclaration d’impôts ou une déclaration d’accident pour une assurance ? La lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme doit pourtant rester une priorité des politiques publiques. Les risques de désengagement existent déjà, comme celui de concéder ces apprentissages aux supposés « désintéressés et empathiques » fournisseurs d’accès aux savoirs que sont les GAFAM. La presse bretonne 3 – sans beaucoup de mesure – s’est récemment félicitée du choix « judicieux » de Google de « choisir » Rennes pour son premier atelier numérique, avec le soutien des acteurs locaux : ateliers gratuits et accessibles à tous. Comment résister à cet apport si généreux pour résoudre rapidement la tension née du passage obligé à la dématérialisation décrétée pour 2020 ?

Autoformation et éducation aux médias et à l’image

L’accélération continue induite par le numérique devrait au contraire nous conduire à nous interroger sur les conditions pour procéder aux meilleurs aménagements. Certes, développer des espaces avec des tablettes et des ordinateurs hyperconnectés renforce l’image de modernité de la bibliothèque, mais doit aussi – en amont – s’accompagner d’une réflexion sur l’adaptation de ses missions pour créer de réelles alternatives aux solutions d’entrisme des consortiums mondialisés, peu intéressés par l’émancipation du citoyen.

Le « service » ressources numériques des bibliothèques vient ainsi offrir un espace virtuel d’autoformation et de loisirs 24/7, aux abonnés : de l’atelier informatique en passant par l’apprentissage de langues, la consultation de la presse ou le visionnement de musiques, de films ou de documentaires. Réseau Carel est une association de bibliothèques publiques, regroupées autour de la Bpi, qui recense ces ressources, encourage leur développement et en négocie les droits pour les collectivités adhérentes.

L’espace autoformation est une offre individualisée et complémentaire des ateliers informatiques dispensés par les médiathèques. Il est devenu cependant de plus en plus difficile de maintenir un tel service en raison de ses coûts prohibitifs et de modes d’accès souvent limités. La faible possibilité d’y introduire des prescriptions professionnelles ou d’en faire une médiation attractive est aussi un frein. Toutefois, la tendance actuelle des portails de bibliothèque permet d’intégrer ces ressources au catalogue et de les transformer en des ressources documentaires comme les autres. On reste ainsi dans l’espace virtuel de la médiathèque. Cette évolution élargira-t-elle l’audience, encore majoritairement constituée de personnes adeptes de l’autoformation ?

Revers du succès des réseaux sociaux, l’explosion des accès à l’information a aussi développé la libération de commentaires douteux, voire haineux. Chacun peut commenter désormais ce qui circule via le web. Sous couvert d’anonymat, on assiste parfois sur un réseau comme Twitter à des chasses aux sorcières personnalisées qui ont tendance à condamner le média concerné. Ces agoras virtuelles concurrencent les habituels lieux de débat de la cité. Pas un jour sans entendre l’expression fake news : nouvelle appellation de phénomènes anciens, mais qui a pris une ampleur polémique sans précédent sur le web. Légiférer ne suffit plus pour interdire ou condamner un usage malsain. Comment faire appliquer la loi à l’échelle mondiale ?

L’éducation aux médias et aux images (EMI) est l’un des nouveaux espaces de formation en construction. Professionnels de l’information, les bibliothécaires proposent désormais dans les bibliothèques des formations pour apprendre à sécuriser les comptes utilisés par leurs usagers et se former en matière de vie privée notamment. Juger de la pertinence des informations ou décortiquer le message apporté par une image émergent dans les programmations culturelles. Ainsi, les médiathèques de Strasbourg proposent un cycle de conférences autour des légendes urbaines et des rumeurs, accompagné d’ateliers de pratiques pour apprendre à décortiquer une information et connaître les sites qui peuvent aider l’internaute. L’intervenant est auteur d’un blog spécialisé, Spokus, mais aussi bibliothécaire universitaire.

La mutation numérique en cours bouleverse ainsi en profondeur les métiers des bibliothèques. Le bibliothécaire devient architecte de l’information et formateur. Doit-il devenir également un bibliothécaire spécialisé en sémiologie ? Dans tous les cas, il doit retrouver sa place entre prescription et médiation. Là aussi, les lieux d’expérimentations sont variés.

Travailler en réseau avec les communautés d’intérêt ?

Les nouvelles manières de s’organiser, d’échanger, d’apprendre et de transmettre les savoirs s’illustrent déjà en bibliothèque grâce à la philosophie collaborative du pair-à-pair, les travaux autour des communs de la connaissance ou encore les réseaux d’échanges de savoir. L’idée n’est plus de développer, chacun de son côté, de nouveaux outils ou dispositifs au sein de chaque bibliothèque, mais plutôt de travailler en réseau avec les communautés d’intérêts du web ou de son territoire. Parce que la bibliothèque apparaît comme un lieu neutre, non soumis à la publicité, elle est particulièrement adaptée pour recevoir en son sein des rencontres du type échanges réciproques de savoirs, nés au sein des mouvements de l’éducation populaire dans les années 1980.

Plusieurs expériences en bibliothèque témoignent de cette prise en compte.

Depuis une quinzaine d’années, des bibliothèques proposent des espaces de questions-réponses à l’échelle d’une médiathèque (Le Guichet du Savoir 4 de Lyon) ou en coopération entre médiathèques avec Eurêkoi 5 à l’initiative de la Bpi. Eurêkoi développe – depuis peu – des recommandations de livres, de musique ou de films, inspirées de l’expérience des médiathèques de Lorient : Je ne sais pas quoi lire6. Tous ces dispositifs de médiation mettent en valeur les expertises des bibliothécaires. Eurêkoi fait le choix de la mutualisation : le réseau revendique 500 bibliothécaires participant à ce service. Le dispositif de Lorient est exemplaire car il prend aussi place dans un portail fédérateur dédié à toutes les démarches dématérialisées du territoire lorientais. Les qualités de ces services sont indéniables, mais peuvent-ils avoir de l’avenir à l’heure des réductions de moyens budgétaires et humains ?

Impossible donc de passer à côté des pratiques et des usages des communautés du web. La co-construction entre publics et bibliothécaires pour l’échange des savoirs semble être particulièrement adaptée pour élaborer des dispositifs de médiation pérennes et efficients, à la condition d’introduire des modalités de validation communes.

Des sites comme Babelio ou Sens critique en France rassemblent une communauté de lecteurs passionnés et de tout niveau. Ces espaces n’ont pas été initiés par les bibliothèques. Babelthèque, le service de Babelio pour les bibliothèques, propose l’enrichissement des notices du catalogue de la bibliothèque. C’est une ressource utile. Pourrions-nous y participer activement ? Cela serait souhaitable, mais en acceptant d’intégrer les codes sociaux et les modalités de ces réseaux pour y adapter nos avis et recommandations d’experts.

Wikipédia nous démontre chaque jour la pertinence du modèle pair-à-pair, sur le principe d’un bien commun de la connaissance : une ressource qui est gérée et construite par une communauté qui respecte des règles déterminées en commun.

À cet égard, le développement d’ateliers de contribution à l’encyclopédie Wikipédia ne nécessite pas de compétences « techniques » particulières en dehors de celles pour se connecter à un navigateur internet. Aucune compétence en code informatique n’est nécessaire pour écrire sur ce wiki, et l’éditeur visuel pour la mise en forme des articles est semblable à celui d’un traitement de texte. En termes de moyens, un atelier de contribution ne nécessite que quelques ordinateurs connectés à internet. Une petite bibliothèque, bénéficiant du wifi avec peu de postes d’accès à internet, pourra demander à ses utilisateurs d’apporter leurs PC portables.

Ce type d’atelier met en avant les collections de la bibliothèque, indispensables pour documenter les articles ; les compétences des bibliothécaires pour rechercher les bons documents et celles, pédagogiques, pour animer la séance. L’initiation est simple mais les échanges sont par la suite fructueux entre les participants.

Lors de l’événement Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880–19307 organisé par les Musées de Strasbourg et leurs partenaires culturels, des ateliers de contributions pour enrichir les notices d’artistes alsaciens de cette période se sont échelonnés sur plusieurs mois dans deux lieux : la médiathèque André-Malraux et la Bibliothèque des Musées. Résultats : une vingtaine d’articles créés ou enrichis avec une documentation spécialisée (un article a même reçu la labellisation « bon article », difficile à décrocher) ; la découverte de la richesse des fonds des deux bibliothèques ainsi que la constitution d’une communauté de contributeurs, pour la plupart novices lors de la première session. Les contributeurs ont continué leur participation en dehors des ateliers.

Topographies et cartographies culturelles

Les frontières entre action culturelle, ateliers de formation et médiation s’effacent de plus en plus. Il s’agit de dessiner d’autres cartes, de tracer d’autres chemins. Prenons deux exemples de ces évolutions autour d’un atelier d’écriture et d’un site de médiation dédié à la cartographie culturelle.

Le traditionnel atelier d’écriture à l’ère numérique peut se transformer en un parcours déambulatoire dans la bibliothèque, dans la ville et sur le web. À l’écart8 était ainsi une déambulation littéraire dans Strasbourg avec le collectif d’auteurs L’aiR Nu, Anne Savelli et Joachim Séné, à l’occasion de la semaine des Racontars du numérique 2016 9. Les écrits et les lectures générés lors de cet atelier d’écriture numérique ont été ensuite cartographiés via un site construit pendant la résidence avec les participants.

De Nîmes vers ailleurs, expérience de cartographie culturelle10 est un projet de médiation culturelle dédié à la cartographie numérique en bibliothèque. Il prend comme arrière-plan Nîmes et son agglomération et se présente sous la forme d’un outil éditorial permettant la présentation et la réunion des projets cartographiques. Il s’adresse directement aux habitants du territoire nîmois, mais aussi à tous les curieux du web.

Ce projet a été initié par Labo², le laboratoire des usages de Carré d’Art Bibliothèque de Nîmes (Gard). Tout comme Géoproject 11, autre projet dédié aux usages culturels de la cartographie numérique en bibliothèque, il peut être utilisé dans d’autres contextes éditoriaux. Il permet aux internautes de créer des récits cartographiques à caractère documentaire ou fictionnel en publiant du son, de la vidéo, des images et du texte directement sur la carte tout en offrant de l’inclure dans une narration.

La bibliothèque publique, un lieu tiers

D’autres espaces foisonnent dans les bibliothèques publiques : fablabs, Install Party autour du logiciel libre, bibliobox, Crypto Party pour initier les publics à la protection de leur vie privée, ateliers de code, de robotique ou d’initiation à l’édition de blogs, ateliers créatifs autour de la narration (machinimas) ou utilisation de lunettes de réalité virtuelle. La relation entre bibliothécaires et usagers peut être horizontale. La bibliothèque répond ainsi à l’une de ses missions de diffusion d’une culture scientifique liée aux technologies vers ses publics et construit, dans le même temps, un réseau de connaissances et de compétences en pair-à-pair en élargissant le cercle à tous les acteurs concernés.

L’utilisation du web renouvelle les modes de communication et de transmission avec et pour des communautés d’intérêt. Ainsi, la commission Labenbib 12 de l’Association des bibliothécaires de France (ABF) se présente comme un groupe de réflexion sur la mise en place d’espaces de fabrication numérique en bibliothèque. « Elle vise à souligner leurs missions et valeurs communes en permettant des rapprochements entre les acteurs de la fabrication numérique et des bibliothèques. » Elle développe un wiki, espace de ressources et de veille sur les fablabs, makerspaces, living lab… en bibliothèques, et anime une communauté de plus de 3 600 membres via un groupe Facebook où chacun peut questionner, partager ses initiatives, débattre en permanence. Un membre est toujours en veille pour aider.

La philosophie des réseaux d’échange de savoirs, des espaces de coworking et du Do It Yourself renouvellent les pratiques d’accueil et les méthodes pédagogiques des bibliothécaires : la bibliothèque devient un lieu tiers.

Par exemple, la médiathèque des Champs libres de Rennes organise des rendez-vous coopératifs 13 (Rendez-vous 4C)14 où les participants se retrouvent autour d’un intérêt commun, décident ensemble de ce qu’ils font et de la façon de le faire. Ils travaillent avec les communautés du territoire, comme à l’occasion des journées européennes du patrimoine 2017, où la communauté OpenStreetMap d’Ille-et-Vilaine s’est mobilisée pour lancer un projet original : la cartographie du musée de Bretagne 15.

Ces Rendez-vous 4C s’installent dans plusieurs espaces adaptés de la médiathèque. Les Champs Libres accompagnent les initiateurs de rendez-vous, facilitent la coopération autonome entre les participants et mettent leurs ressources à disposition des projets du groupe. Les ateliers durent deux heures, un ou plusieurs jours, sont gratuits et basés sur une participation bénévole, ils aboutissent à une mise en commun (une maquette, des photos, un billet de blog, une simple conversation). Le déroulement de l’atelier et les résultats sont documentés sur un blog Tumblr sous licence libre, de façon à pouvoir être rediffusés et servir à d’autres le plus largement possible. « En 2016, il y a eu 1 251 participants, 20 projets, 169 rendez-vous », énumère Samuel Bausson, webmaster. « Les Champs Libres n’organisent rien. Les gens font ensemble par et pour eux-mêmes. Tout est renvoyé à leur propre réseau et responsabilité. » Les bibliothécaires « facilitateurs » sont là si besoin et réalisent des points réguliers avec les porteurs de projets.

Dans les exemples précédents, ces types d’ateliers utilisent un processus collaboratif (Social peer-to-peer process), forme décentralisée de travail collaboratif reposant sur des principes proches des réseaux informatiques pair-à-pair. Les participants ne sont pas soumis à une autorité hiérarchique et chacun est libre de contribuer sans sélection préalable. Ils sont unis par un projet commun ou un bien commun que peut produire le groupe. Enfin, il n’existe pas de collaborateurs indispensables, même s’il peut exister des plus ou moins gros contributeurs. En quelque sorte, chacun produit sa propre gratification.

Michel Bauwens, le théoricien du peer-to-peer et cofondateur de la P2P Foundation 16, parle de système hyperproductif. La version française de Wikipédia affichait fin septembre 2018, 2 044 225 articles et 17 554 contributeurs actifs. Peu importe pourquoi une personne contribue, l’important est de participer. C’est un usage particulièrement mature et citoyen à souligner. Agir en commun pour faire fabriquer des communs représente l’une des pistes les plus enrichissantes pour la bibliothèque publique et pas seulement en termes de valorisation de la bibliothèque.

Le mouvement des tiers lieux 17 vient aussi interroger la place des bibliothèques qui n’ont pas le monopole de l’éducation, du partage et de l’échange. La bibliothèque publique est en pleine ébullition pour positionner et adapter ses missions traditionnelles au nouvel environnement d’accès aux savoirs et aux connaissances, et répondre avec ses moyens à la lutte collective pour la réduction des inégalités. Son modèle doit rester adaptable en permanence, selon son territoire et sa tutelle (bibliothèques publiques, universitaires…). La bibliothèque, lieu des savoirs, est devenue un lieu de mémoire vive…

Comment optimiser et rendre accessibles tous ces lieux de savoir est l’une des questions majeures qui se pose désormais aux décideurs publics dans leur construction de politiques publiques cohérentes. Comme le rappelle Marie-Claude Blais dans un ouvrage collectif : « Nous sommes définitivement passés d’une société de transmission à une société de la connaissance, ce qui signifie qu’on est passé de “l’impératif de transmettre” à un “modèle centré sur l’acte d’apprendre” 18. »

Pour la diffusion du savoir et interroger les candidats à la présidentielle 2017

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Le collectif pour la connaissance libre, soutenu par Wikimedia France organise, à l’occasion de la campagne présidentielle une grande campagne de sensibilisation autour des biens communs informationnels et des licences libres.

L’objectif est d’interpeller l’opinion publique et les candidat(e)s à la présidentielle sur la protection du domaine public face au copyfraud.

Si vous souhaitez participer à cette campagne, vous pouvez :

1) Apposer la bannière en pièce jointe en photo de couverture facebook, twitter, google +…

Connaissance libre 2017

2) Suivre le compte twitter @PLCL2017

3) Participer à l’exposition pour la connaissance libre en vous inscrivant ici

4) Pour ceux qui le souhaitent vous pouvez également recevoir, à partir de la semaine prochaine des T-shirt « Connaissance libre » afin de vous prendre en photo devant les œuvres dans l’espace public ne bénéficiant pas de liberté de panorama ou victime de copyfraud.

N’hésitez pas à joindre le collectif à cette adresse : contact@connaissancelibre2017.fr pour toutes questions et suggestions.

Franck Queyraud

Membre de Wikimédia France

L’économie est un jeu d’enfant de Tim Harford (Babelio #massecritique)

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Tous les ans, j’ai un pincement au cœur quand j’entends que l’on remet un prix Nobel à un économiste ! Rassurez-vous, cela m’arrive également pour le Prix Nobel de la Paix ! Les choix de la noble Académie de Stockholm sont parfois guidés par d’étranges murmures – non, non,  je n’ai pas dit : intérêts. Je sais, j’exagère. Cela ne changera rien de l’écrire ici. Et puis, ce n’est pas tout à fait exact, j’ai été heureux au moins une fois dans ma vie, lors de la remise d’un prix Nobel d’économie ! En 2009, lors de son attribution à Elinor Ostrom et Oliver Willliamson pour leurs travaux autour de la gouvernance économique et les principes des biens communs. Mais ces théories sur les biens communs ont plus à voir avec les littératures de l’imaginaire qu’avec cette pseudo-science entièrement dédiée à la réussite du système économique mondial actuel et à la croissance de la croissance éternelle. En ce weekend de Pâques, j’allume un cierge aux Fmi et à tous les économistes qui font notre bien-être sur cette planète !

En disant cela, je vais aussi me mettre à dos encore pas mal de gens comme moi, passionnés par les utopies et qui ont également dû mal à comprendre qu’entre les idées et le réel, il y a un gigantesque gouffre. Mais, on peut vivre dans le monde des idées. Au moins cela, on ne peut guère nous l’enlever. Je vous rassure, je ne suis pas devenu cynique, blasé… je reste un indécrottable optimiste et j’ai foi (même si j’ai souvent mal) dans la nature de l’être humain à condition qu’il soit éduqué, doué de raison et… etc… Mais, au final, ce que je crois, moi, pour le devenir d’un monde meilleur basé sur la paix, le respect, la connaissance, la tolérance…  bref, ce que je crois, moi, n’a aucune importance. Ce monde ne vit pas avec nous, ceux qui ont de telles idées. Je suis du camp des rêveurs (eux, ceux du monde réel, nous appellent les losers).

Bien sûr, il est toujours redoutable de se déclarer contre. C’est négatif. Il faut être positif. Mais c’est ainsi, j’ai un peu de mal à saisir comment les travaux des récipiendaires du prix Nobel d’économie peuvent profiter à l’humanité (c’est ce critère principal qui déclenche normalement l’attribution du prix). Bref, je le reconnais, je suis un ignorant. Mais je me soigne. J’essaie de lire, de comprendre, d’être à moitié convaincu…  d’être positif… aussi j’ai accepté la proposition de Babelio : recevoir, lors de l’opération masse critique, l’ouvrage de Tim Harford intitulé : L’économie est un jeu d’enfant, traduit en français aux PUF, en ce début d’année 2016. Un livre qui s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires à travers le monde selon la quatrième de couverture. C’est certain, les clés du nirvana me sont offertes.

Oui, le style est enlevé, c’est accessible et ludique. Car, en plus, d’être positif désormais, il faut accepter une mission : il faut que tout soit ludique (un autre mot pour : aseptisé ?). Extrait ludique :

« Rappelez-vous : nous avons estimé à 5 % le risque de trouver un œuf pourri en choisissant au hasard dans le panier. Autrement dit, dans la première boite de six, le risque d’un deuxième œuf pourri n’est que de 3%. Le TAC est donc composé avec une probabilité de 3% pour qu’il y ait des œufs pourris. Le risque que l’un de ces œufs  soit pourri est d’environ 18%, et le risque d’un deuxième oeuf pourri est d’environ 1,5 %. Le TAC de TAC est composé d’oeufs ayant une probabilité de 1,5 % d’être pourris, et le risque… »

Là, j’ai un peu décroché. Je suis encore désolé de dire que j’ai beaucoup de mal à comprendre quoi que ce soit à ce genre de livre (vous avez lu en entier, vous, et compris le dernier Piketty ?). J’ai bien conscience en écrivant ce résumé de ma lecture que ma négativité va se retourner contre moi. Sont sympas les PUF de m’avoir envoyé le livre pour que je le commente.

Une pointe d’humour, vous sentez ? (pour être ludique, j’essaie de le dire à la façon de maitre Yoda, notre vénérable maitre à tous).

Bref, sérieusement, que pourrais-je vous dire de plus sur ce livre, qui est vraiment : didactique (gloire au marché), écrit avec un style alerte, drôle et ludique (voir extrait plus haut)…. je vous sens sceptique… ce modeste blog est lu en principe par des bibliothécaires : donc mon message, final, est : oui, vous pouvez acquérir ce livre pour votre fond économie (dans les généralités de la 330 de notre Dewey) mais surtout, en plaçant à ses côtés, d’autres livres : des livres sur les biens communs ou sur la décroissance (pour que l’usager – citoyen, emprunteur en bibliothèque – se fasse une véritable opinion).

Allez, j’y crois à ces idées sur les biens communs…. même si je taquine mes petits camarades utopistes. L’auteur, quant à lui, si j’ai bien compris, n’y croit pas, pas du tout. Il croit au marché. Comme grenouilles qui coassent… Moi qui suis crapaud fou (voir Dujol, 2009), je vais retourner vers mon journal de rêveur : La décroissance. Et, je sais que je ne vous convaincrai plus en vous disant que je ne suis pas blasé ou cynique… mais ainsi, vous vous rendrez compte de ce que m’arrive quand je lis un livre sur l’économie… c’est pareil quand j’écoute France Info…

Optimistement votre,

Silence

Merci aux PUF pour l’envoi de ce livre et à Babelio pour la proposition de lecture… Sur Babelio, vous trouverez d’autres critiques de ce livre.

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Pour aider la création littéraire contemporaine, rien ne sert de se lamenter contre Voledemort (Amazon), il suffit de s’abonner à Publie.net !

Publié le Mis à jour le

publienet

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Les éditions Publie.net sont à un tournant de leur existence ! Nous pouvons les aider…

« On va tout de même pas parler d’argent.  » écrit Philippe Aigrain. Mais si, en fait, il faut parler d’argent, vous pouvez vous abonner pour une année et vous faire une idée sur les livres publiés. Il écrit :

« Et bien si, je vais vous parler d’argent. Il faut d’abord que je vous dise pourquoi.

L’univers culturel à l’âge numérique, c’est un espace complexe. Il y a ce que on appelle le web, internet ou les internets. C’est à la fois un commun et le lieu du contrôle et de la surveillance contemporaine. Il y en a qui disent que ce n’est pas un commun parce qu’il ne fait pas l’objet d’une gouvernance par une communauté comme les terres à pâturages ou les forêts qu’Elinor Ostrom a étudiées. C’est à mon avis une vision restrictive et qui manque l’essentiel. Cet univers fonctionne à la fois comme un commun (et il y a des gens qui s’occupent que ça continue, dont beaucoup d’entre vous) et comme le contraire d’un commun : un lieu d’appropriation de la valeur commune par de grands acteurs économiques et des États qui l’espionnent, la pillent et orientent nos pratiques. Mais qu’est-ce que nous, nous faisons de la valeur des communs, de l’expression de chacun, de la socialité qui nous y lie ? Quand on commence à se poser cette question par exemple en ce qui concerne l’expression créative, on se rend compte que la culture numérique n’est pas un espace homogène, un grand tout fait d’atomes qui seraient les individus ou même de monades qui unifieraient le tout et les unités de base. En fait, voir le monde numérique comme un grand réservoir d’unités élémentaires d’information qu’on analyse, exploite, relie, c’est exactement la vision des acteurs du big data, où des algorithmes peuvent traiter chaque mot dans un de nos textes, chaque connexion entre nous et quelqu’un d’autre de façon à dire et faire quelque chose de nous, par exemple faire de l’un un suspect ou d’une autre une cible de publicité ciblée. Quelle est la différence entre cela et ce que nous faisons nous ? Elle tient en quelques mots : le contexte, la granularité, la singularité des individus et des groupes, l’éditorialisation. Rassurez-vous ou inquiétez vous, on va arriver au fric, mais pas tout de suite.

Le contexte, c’est ce qui fait que pour l’écriture numérique d’une personne, le lieu de cette écriture, celui où elle s’accomplit, se range, se rend publique est essentiel, que ce soit un blog, un site ou une plateforme (et dans ce dernier cas, toujours se demander qui contrôle le contexte). L’importance de ces maisons numériques, c’est une des choses que nous a appris l’ami François en explicitant des intuitions souvent vagues de chacun. Ces maisons sont le lieu de l’auto-éditorialisation, et vite il s’y crée un espace social (d’invitations, de liens, de commentaires, de recommandations). Ce contexte définit une certaine granularité : celle du lieu, on y est ou on est ailleurs, et les choses qui y sont ensemble constituent une identité. Mais si on restait dans l’immense collection des lieux des individus et de leurs liens, il manquerait quelque chose d’essentiel à la culture numérique, que je vais discuter dans le cas particulier de la création littéraire. Ce quelque chose ce sont des entités (groupes informels, collectifs comme Général Instin, revues ou associations comme remue.net ou L’air Nu, mais aussi éditeurs) qui se fixent pour but de faire vivre un certain parti éditorial en suscitant et accompagnant des pratiques créatives et en portant leurs résultats. C’est essentiel pour tout le monde numérique, comme l’a montré Julie Cohen, mais ça l’est particulièrement dans le champ culturel, cf. le séminaire « Éditorialisation » organisé par l’IRI, la revue Sens public et l’Université de Montréal.

Un espace d’éditorialisation dans ce sens là, qui vise à représenter plus que la vision propre d’un individu, à porter collectivement et mûrir un parti éditorial dans la durée, à le faire reconnaître d’un public élargi, ce n’est pas rien de le faire exister et de le faire survivre. Ces trois derniers jours, deux espaces d’éditorialisation précieux se sont fermés : la revue Terra-Eco et les éditions Derrière la salle de bains. Construire un espace d’éditorialisation propre à la littérature numérique comme publie.net tel que l’a créé François Bon en 2008 et tel que sa nouvelle équipe depuis 2014 essaye de le pérenniser et de le développer, c’est un pari insensé et nécessaire. Dans ce genre d’activité, il faut à la fois une mobilisation de l’engagement bénévole, une activité professionnelle continue et intense de quelques-uns et l’intérêt, le soutien d’une communauté élargie. Il faut des modèles commerciaux et se débattre avec un environnement économique et réglementaire qui a été sculpté par la recherche de rentes de certains acteurs peu préoccupés de création à l’âge numérique, mobiliser le soutien participatif y compris celui qui s’exprime dans les abonnements, obtenir des aides publiques. Il faut jouer fortement la carte des droits des lecteurs, qui est aussi celle des auteurs puisqu’ils risquent avant tout de ne pas atteindre leur public potentiel.

Il faut une capacité d’investissement pour explorer toutes ces nouvelles pistes. Une nouvelle offre pour les bibliothèques reposant sur la mise à disposition de fichiers, cela demande des investissements non négligeables en développement et en support humain. Exploiter les synergies entre livre papier et numérique, ce que je défends depuis dix ans face à la double opposition de ceux qui voient le numérique comme la mort de la culture et ceux qui ne comprennent pas l’importance de l’objet, cela demande d’investir dans la vente directe en complément de la diffusion classique et un travail important en direction des librairies. Il faut ces degrés de liberté essentiels qu’apporte le fait d’avoir des ressources propres. C’est là que le fric intervient. Et c’est là qu’il ne suffit pas.

phaigrain-img-gp-smallAvoir des ressources propres pour un temps donné pour compléter ses revenus, c’est pour un projet collectif une aubaine et un danger. L’aubaine ne dure pas, donc il faut en profiter rapidement mais aussi avoir une vision de l’après, d’un nouvel équilibre qu’il est toujours plus confortable de repousser dans un futur vague. Depuis 2014, on a déjà perdu du temps pour diverses raisons. J’ai la chance de pouvoir investir dans une aventure comme celle du nouveau publie.net. C’est principalement grâce au monsieur sur la photo. Il était chimiste. Son oncle aussi, qui avait mis au point un procédé de transformation du papier pour le rendre adapté au tirage de plans (les bleus on disait). Cet arrière-grand oncle avait envoyé son fils et ses neveux exploiter le procédé dans divers pays, une sorte de diaspora économique. Mon grand-père est allé en Belgique, où ma mère est née en 1924. Il y a fondé et développé une PME. Lors de nos visites à Bruxelles, ma mémoire d’enfant y a enregistré pour toujours l’odeur d’ammoniaque. Il est mort en 1960, sept ans après la photo. Il avait 68 ans, une vie de travail acharné et des milliers de paquets de gauloises vertes à son actif. Ma grand-mère a vendu sa société avant que les changements de technologies d’impression ne rendent obsolètes les procédés qu’elle exploitait. Les profits des détenteurs d’actifs financiers à partir des années 1980 ont fait le reste.

Financièrement, on peut juste dire : nous sommes encore là. Mais sur le contenu, nous pouvons en dire beaucoup plus et c’est grâce avant tout aux trois personnes qui travaillent quotidiennement au plus haut niveau de professionnalisme pour publie.net et à toute l’équipe élargie. Depuis 2014, on a fait des choses dont nous pouvons collectivement être fiers : inscrire un peu plus dans la réalité le projet d’être un éditeur équitable dont le fonctionnement implique directement les auteurs ; constituer un petit groupe de réflexion stratégique avec Marie Cosnay, Pierre Ménard, Guillaume Vissac et moi-même ; mettre en place un nouvel environnement de sélection et accompagnement éditoriaux animé par Guillaume Vissac, resserrer notre production avec le choix d’une limite à 25 titres par an et mettre en place une nouvelle lisibilité de cette production avec cinq grands domaines (littérature francophone, monde, art, essais et classiques). Élever la qualité graphique et d’impression de nos livres, grâce à l’implication infatigable de Roxane Lecomte et aux savoirs-faire que nous a transmis Gwen Català. Organiser des événements de lectures et performances qui ont mobilisé significativement notre communauté et nous ont donné de bien belles choses. Commencer à tisser des liens avec un ensemble plus étendu de libraires, grâce au travail de Pauline Briand (en plus des contrats et des relevés de droits d’auteur) et Guillaume encore. Renouer les liens avec les directeurs de collection qui étaient dans une sorte d’expectative et qui manifestent aujourd’hui un enthousiasme qui nous fait chaud au cœur. Et le plus important : les livres parus ou préparés depuis que la nouvelle organisation éditoriale est en place, dont chacun est une source de fierté collective pour notre équipe.

Ce qui reste à faire pour que publie.net soit soutenable au-delà du terme de la fin 2017 auquel je ne pourrais plus y investir qu’à un rythme très réduit est immense et concerne chacune de nos sources de revenus ou de soutiens hors exploitation : les ventes numériques, les ventes papier, les abonnements individuels, les abonnements de bibliothèques et les soutiens publics ou financements participatifs. Rien ne sera possible sans un développement important de la présence des œuvres, des auteurs et de l’équipe dans l’espace public. Bref, si vous lisez ceci, c’est dans vos mains aussi.« 

Tous les livres de Publie.net sont ici.

Et puis, il y a l’amie Sabine qui rédige des notes de lectures si vous ne savez pas quel livre choisir pour commencer : 645 livres disponibles et accessibles via votre futur abonnement…

Rien ne sert de se lamenter contre… L’époque est à la plainte, à la litanie… Il faut agir…  Aider la création contemporaine, aider les auteurs, les maisons d’éditions (numériques) d’aujourd’hui. Comment ? C’est simple : un abonnement et des heures de lectures.

Le dernier livre lu, entendu et vu ? (Une anthologie de poésie contemporaine composée et lue par ses lecteurs. Le numérique peut ainsi faciliter une autre approche des textes.

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Celui que j’attends impatiemment ? Le 11 mai… SURVEILLANCES… drôlement d’actualité…

Vous pouvez lire tous ces livres sur votre smartphone, votre pc, votre liseuse. Et puis, si vous avez envie d’avoir une édition imprimée, il y a Publie.papier

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Rien ne sert de se lamenter… mais poser un acte…

Silence

En partageant vos photos via Facebook, Instagram et consorts, saviez-vous que vous étiez un dangereux contrefacteur !

Publié le Mis à jour le

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Des cygnes et des grues par FQ : photo publiée sur mon compte instagram.

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La liberté de panorama est un droit que vous pensez détenir lorsque vous postez, sur Internet (Facebook, Instagram, Wikipédia, etc.), la photo d’une sculpture ou d’un bâtiment relativement récent, et ce, que vous soyez présent sur cette photo ou non. Par exemple : une photo du viaduc de Millau, une photo de vous devant la pyramide du Louvre, ou devant les colonnes de Buren…

Ou encore, ce cliché de la Médiathèque André Malraux de Strasbourg et de son environnement lacustre et industriel, chargé de la mémoire des hommes qui ont vécu et travaillé ici. En me rendant ce matin-là à mon travail , dans cette médiathèque où je travaille chaque jour, c’est assurément l’ambiance, le ciel, les cygnes, les grues qui m’ont conduit à prendre cette photographie. Puis, à la partager sur mon compte Instagram où je tiens une sorte de journal quotidien, visuel et poétique. Comme l’a écrit August Wilhelm Schlegel, un poète allemand du courant romantique : « la poésie fut créée en même temps que le monde. » Habiter poétiquement le monde ne serait donc plus possible ?

Vous pensiez naturellement jouir de ce droit – la liberté de panorama – car le monument ou la structure se trouve, à la vue de tous, dans l’espace public. Bien souvent, il a d’ailleurs été financé par de l’argent public. Mais en réalité, il relève du droit privé : le droit de l’auteur, et surtout des sociétés d’ayants-droit, et ce, jusqu’à 70 ans après la mort de l’artiste. En attendant : vous êtes contrefacteurs !

L’absence de liberté de panorama pose nécessairement la question de la privatisation de l’espace commun. Elle interdit, entre autres, l’utilisation de telles images dans des espaces comme l’encyclopédie Wikipédia et freine ainsi la libre diffusion de la connaissance.

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anthologie manifeste disponible rsur le web

Depuis l’année dernière, Wikimédia France est engagée pour soutenir la liberté de panorama dans le cadre du projet de Loi « Pour une République numérique« .

82 % des Etats membres de l’Union européenne ont adopté la liberté de panorama, mais toujours pas la France. En Italie le sujet perce. En Belgique une proposition émerge. En Estonie, ce sont les associations d’architectes qui demandent à ce que la liberté de panorama soit étendue à des usages commerciaux. Plus largement en Europe, en Ukraine, l’exception de panorama est également envisagée.

 

Que pouvez-vous faire ?

1 – Le site Pour la liberté de panorama permettra de vous informer.

2 – Vous pouvez ensuite signer  la pétition de Wikimédia France : Pour la liberté de photographier l’espace public ! #LibertéDePanorama

A l’Assemblée nationale, les députés se sont prononcés majoritairement pour cette liberté, mais ils en ont produit une version qui la rend totalement inopérante (voir l’explication dans la vidéo).

Les Sénateurs sont actuellement en train de discuter la loi.

En signant la pétition, vous nous permettrez de faire avancer le dialogue et de faire passer nos demandes :

  • Maintien de la notion de liberté de panorama ;
  • Retrait de la mention « à des fins non lucratives » (inapplicable sur Internet) ;

3 – Écrire à votre député et à votre sénateur pour leur demander quelles sont leurs positions et ce qu’ils comptent faire.

4 – Continuer à prendre des photographies poétiquement et les partager ! Pour tenter d’adoucir et d’éclairer ce monde matériel et lucratif…

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A vos plumes, à vos clics, à vos appareils photos…

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Silence

Citoyen et bibliothécaire,

Adhérent à wikimédia France

Contributeur à Wikipédia depuis 2005 (cendrars83)

photographie Médiathèque André Malraux censurée
Sans liberté de panorama… les photographies se mondrianisent 😉

De Jules Verne aux liens hypertextes de Wikisource… (à propos de l’amendement pour interdire les liens hypertextes)

Publié le Mis à jour le

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« Tout d’abord, M. Fridriksson s’enquit auprès de mon oncle du résultat de ses recherches à la bibliothèque

« Votre bibliothèque ! s’écria ce dernier, elle ne se compose que de livres dépareillés sur des rayons presque déserts.

— Comment ! répondit M. Fridriksson, nous possédons huit mille volumes, dont beaucoup sont précieux et rares, des ouvrages en vieille langue Scandinave, et toutes les nouveautés dont Copenhague nous approvisionne chaque année.

— Où prenez-vous ces huit mille volumes ? Pour mon compte…

— Oh ! monsieur Lidenbrock, ils courent le pays. On a le goût de l’étude dans notre vieille île de glace ! Pas un fermier, pas un pêcheur qui ne sache lire et ne lise. Nous pensons que des livres, au lieu de moisir derrière une grille de fer, loin des regards curieux, sont destinés à s’user sous les yeux des lecteurs. Aussi ces volumes passent-ils de main en main, feuilletés, lus et relus, et souvent ils ne reviennent à leur rayon qu’après un an ou deux d’absence.

— En attendant, répondit mon oncle avec un certain dépit, les étrangers…

— Que voulez-vous ! les étrangers ont chez eux leurs bibliothèques, et, avant tout, il faut que nos paysans s’instruisent. Je vous le répète, l’amour de l’étude est dans le sang islandais. Aussi, en 1816, nous avons fondé une Société littéraire qui va bien ; des savants étrangers s’honorent d’en faire partie ; elle publie des livres destinés à l’éducation de nos compatriotes et rend de véritables services au pays. Si vous voulez être un de nos membres correspondants, monsieur Lidenbrock, vous nous ferez le plus grand plaisir. » »

Ce passage est extrait de Voyage au centre de la terre de Jules Verne, paru en 1864.

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On retrouve cette idée des livres qui ne doivent pas rester sur les étagères des bibliothèques, dans le livre de Michèle Petit (L’art de lire, Belin, 2008). Elle cite la bibliothécaire iranienne Noush-Afarin Ansari : « Les livres raffolent de l’errance et ceux qui restent dans la bibliothèque sont des livres tristes.« 

Aujourd’hui, à l’heure où deux députés françaises ont eu la très grande idée de vouloir supprimer ou réduire les liens hypertextes qui sont la caractéristique principale du Web (c’est-à-dire le contraire du monde clos des applications), il est bon de rappeler les mots de Jules Verne et ceux de la bibliothécaire iranienne.

Cette semaine, on fête les 15 ans de l’encyclopédie Wikipédia. Qui l’eut cru ? Et aussi un autre projet attenant : Wikisource, la bibliothèque libre Wikisource où, justement, on trouve tous les livres de Jules Verne.

Paradoxalement, Wikisource permet aux lecteurs de vider ses étagères (virtuelles) den permanence et  aux livres de s’envoler grâce aux liens hypertextes.

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Silence… (enfin, non)

Les «Six heures contre la surveillance» de 16h à 22h sur Médiapart en libre accès

Publié le

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Ce lundi 4 mai, Mediapart diffuse en direct, de 16 heures à 22 heures, une opération exceptionnelle « Six heures contre la surveillance »: débats, interpellations, chroniques, chansons, duplex. À la veille du vote solennel des députés sur le projet de loi sur le renseignement, il s’agit de fédérer et relayer toutes les initiatives, de donner la parole à tous ceux qui s’inquiètent ou refusent un texte qui menace nos libertés individuelles et collectives.

Nous rendrons également compte en direct, en vidéo, audio et photo, du rassemblement qui débutera lundi à 18 h 30, place des Invalides, à Paris. Ce rassemblement est appelé par dix-huit organisations, qui participeront aussi à notre opération « Six heures contre la surveillance ».

Les organisations qui appellent au rassemblement le 4 mai à 18h30, Place des Invalides.Les organisations qui appellent au rassemblement le 4 mai à 18h30, Place des Invalides.

L’appel de ces organisations peut être lu ici. Il dit en particulier :
« Ce projet entérine les pratiques illégales des services et met en place, dans de vastes domaines de la vie sociale, des méthodes de surveillance lourdement intrusives. Le texte donne aux services de renseignement des moyens de surveillance généralisée comparables à ceux de la NSA dénoncés par Edward Snowden, sans garantie pour les libertés individuelles et le respect de la vie privée. » Mediapart s’associe par ailleurs à l’opération « 24 heures avant 1984 » (voir leur page Facebook ici).

Le programme et les invités de ces « Six heures contre la surveillance » :

  • 16h-18h. Nous sommes tous concernés

Animé par Edwy Plenel. Intervenants
———– La Parisienne Libérée et Jérémie Zimmermann
chantent en duo « Rien à cacher ».
Julien Bayou (24 heures avant 1984)
Eliott Lepers (24 heures avant 1984)
Laurent Chemla (cofondateur de Gandi)
Thomas Guénolé (la pétition citoyenne)
Guillaume Chocteau
(Ressources-Solidaires)
Pierre Tartakowsky
(Ligue des droits de l’homme)
Dominique Curis
(Amnesty France)
———– «Klaire fait grr»
Florian Borg
(Syndicat des avocats de France)
Laurence Blisson
(Syndicat de la magistrature)
Philippe Aigrain
(la Quadrature du Net)
Tristan Nitot
(fondateur de l’association Mozilla Europe et membre du Conseil national du numérique, signataire de l’appel Ni Pigeons, ni Espions)
Sophie Gironi
, directrice de la communication de Gandi (signataire de l’appel Ni Pigeons, ni Espions)
Bluetouff
(hackeur et co-fondateur de Reflets)
———- Extraits du documentaire «Citizen Four»

  • 18h-19h15. Nous sommes tous mobilisés

Animé par Frédéric Bonnaud et Edwy Plenel. Intervenants
Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières
Aurélie Filippetti, députée socialiste et ancienne ministre de la culture
Eva Joly, députée européenne (EELV)
Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique

À 18h30 et à 19h15, Mediapart organise des duplex avec le rassemblement organisé place des Invalides, à Paris.

  • 19h30-22h. Combattre pour nos libertés

Animé par Frédéric Bonnaud et Mathieu Magnaudeix. Trois débats

Pouria Amirshahi, député socialiste
Isabelle Attard, députée Nouvelle Donne
Benjamin Bayart, French Data Network
Clémence Bectarte, Fédération internationale des droits de l’homme

Mathieu Burnel, activiste, proche du Comité invisible
Dominique Cardon, sociologue
Anthony Caillé, CGT-Police
Un porte-parole du SNJ, syndicat des journalistes

Sergio Coronado, député EELV
Adrienne Charmet-Alix, La Quadrature du Net
Éric Beynel, Union syndicale solidaire
Laurence Parisot (ancienne présidente du Medef)

À 19h30 et à 21h, Mediapart organise des duplex avec le rassemblement organisé place des Invalides, à Paris.
Par ailleurs, plusieurs extraits de films seront diffusés.

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 Près de 800 acteurs du numérique, parmi lesquels OVH, le plus grand hébergeur français, mais aussi Mediapart, ont signé un appel intitulé « Ni pigeons, ni espions ». « Nous, acteurs du numérique, sommes contre la surveillance généralisée d’Internet », dit cet appel, « mettre Internet massivement sous surveillance, c’est ouvrir la porte à un espionnage incontrôlable, sans aucune garantie de résultat pour notre sécurité. »

Outre ces acteurs et les associations de défense de nos droits numériques (la Quadrature du Net, l’Observatoire des libertés et du numérique) qui, toutes, dénoncent ce texte, outre les autorités administratives indépendantes (CNIL, CNNum, CNCDH, Défenseur des droits) qui ont multiplié les réserves ou oppositions, les citoyens commencent massivement à se mobiliser. Une pétition en ligne exigeant le retrait du projet de loi a déjà recueilli 115 000 signatures le 24 avril à 12 heures.

Mediapart, depuis le début de l’examen parlementaire de ce texte, n’a eu de cesse d’en souligner les dangers pour nos libertés individuelles. Lire ci-dessous :

Loi sur le renseignement: un attentat aux libertés, par Edwy Plenel
Notre dossier complet: les Français sous surveillance

Où sont passés les Exemplaires ? Nouvelle flânerie dans le Web littéraire, celui de 2015.

Publié le Mis à jour le

Jeudi 2 avril, j’ai été invité à intervenir pour la biennale EXEMPLAIRES : formes et pratiques de l’édition qui se tenait à l’Ecole supérieure des Beaux-arts de Lyon (ENSBA). Le colloque avait notamment pour objectif de mettre en lumière certaines expériences significatives dans le domaine du design éditorial contemporain. Plutôt que de mettre mon diaporama sur slideshare, voici le détail de mon intervention… Bonne lecture…

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« Les objets hérités de la culture de l’imprimé et du livre, avec leur support complexe et multiple, leur matérialité, sont aujourd’hui confrontés aux réalités des pratiques et des contraintes de l’environnement numérique. Si le livre comme objet résiste, la culture du livre et de l’imprimé est en crise en grande partie à cause des pratiques courantes et quasi naturelles dans l’environnement numérique.

La convergence entre la technique et l’héritage culturel nécessite une remise en question des valeurs attachées à des pratiques éditoriales et juridiques ancrées dans une tradition avec un poids économique important, une fonction symbolique puissante et un rôle politique majeur. Car les objets sont aussi associés à des institutions qui sont des lieux de production, de transmission et de préservation du savoir.

Et la fragilisation actuelle de ces objets implique une déstabilisation de ces espaces lettrés et savants, de même que leur soumission aux pressions suscitées par les modèles de la production du savoir inhérente à l’environnement numérique. »

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Indispensable lecture…

« Ainsi, la mutation induite par le numérique touche d’abord à la stabilité de cet espace dans toute sa diversité. Qu’il s’agisse de l’institution et de ses extensions (université, édition, revues scientifiques, etc.) ou des archives (bibliothèques), la culture numérique transforme les pratiques courantes et risque de modifier la nature même des objets de notre savoir comme de l’espace censé les accueillir et les faire circuler.

Cette dimension spatiale est essentielle, voire déterminante, car elle participe d’une manière remarquable à ce bouleversement général qui semble caractériser notre aventure numérique. »

Milad Douehi in Pour un humanisme numérique : http://www.publie.net/fr/ebook/9782814506411/pour-un-humanisme-numerique

En observant les nouvelles pratiques d’écriture de certains auteurs (pas tous) sur le web, on peut se demander légitiment où sont dorénavant passés les exemplaires qui constituaient traditionnellement la collection de la bibliothèque ?

Et comment, nous, les bibliothécaires, traditionnels passeurs de savoir nous allons recueillir ces nouveaux objets qui ont la forme d’un web livre pour reprendre la formule de François Bon ?

Comment nous allons les conserver… mais surtout les mettre à la disposition des lecteurs ?

Je vous invite donc à une nouvelle flânerie dans le web littéraire, celui de 2015.

(Voir ma précédente flânerie, rédigée pour le BBF et découvrir des auteurs d’aujourd’hui explorant le numérique pour renouveler  leur manière d’écrire – un netvibes que j’entretiens de temps en temps permet de vous donner les liens)

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Je ne parlerai ici… ni des livres homothétiques… ni des livres applications… ni des livres enrichis…

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Le Salon de L@ppli – Médiathèque André Malraux – Strasbourg

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« L’apprentissage, l’imaginaire, les chemins du savoir, la transmission des techniques, des rêves et des secrets, tout passait par le livre. Mais, depuis deux décennies (tout de même déjà une histoire), nous confions progressivement la totalité de nos usages, depuis les routines professionnelles jusqu’aux commodités les plus privées, à des appareils électroniques. Avec des risques lourds, quand ces appareils et leurs logiciels, et l’économie de ce qu’ils véhiculent, sont sous monopole de quelques groupes dont l’art et la civilisation sont moins la préoccupation que la bourse et la domination. » Nous voici donc confrontés à l’instable. Il concerne aussi bien les supports, chaque nouvel appareil condamnant le précédent, là où le livre – résultat d’une considérable histoire industrielle d’une ergonomie complexe – tolérait que chaque nouvelle strate acceptait les anciennes (mais dans un changement d’échelle qui les reléguait quand même à d’infinies distances : consultons-nous autrement que dans les expositions des grandes bibliothèques les vieux portulans ?), qu’il concerne les formes mêmes de l’écrit. La relation du texte à l’image, le rôle de la voix pour le conteur ou l’écrivain, le travail quotidien et l’attention au bruit du monde, rien de neuf sous le soleil. Seulement, la forme transmise s’appuyait sur ce qui en était le plus reproductible : le texte, donc, puis l’imprimé. »

in Après le livre / François Bon. – Paris : Seuil, 2011. – 275 p.

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Ce n’est pas que nous ayons tout à réapprendre : la réflexion sur la typographie, le lien à la part technique de l’écriture (on le croisera pour l’histoire infiniment complexe et passionnante de la tablette d’argile, mais aussi pour Rabelais ou Flaubert) ont toujours été présentes dans l’histoire immédiate de la littérature. Simplement, l’apparente stabilité du livre autorisait qu’elle reste à distance, qu’on la sache, mais en filigrane. Il n’y a jamais eu d’auteur ni d’écriture qui puisse se séparer de ses conditions matérielles d’énonciation ou reproductibilité, ni Shakespeare, ni Bossuet, ni Baudelaire ni Proust : mais lorsque la rupture technique englobe la totalité des aspects de l’écrit, à quoi se raccrocher pour disposer soi-même d’un point d’appui et continuer ? Paradoxalement peut-être, l’objet qui témoigne le plus en avant de cette mutation radicale, c’est le livre imprimé : assemblage de fichiers xml pour le contenu, de masques css pour l’apparence, de métadonnées pour sa distribution, il est déjà en lui-même une sorte de site web, dont la carapace numérique permet aussi bien d’être imprimé qu’archivé, révisé, porté sur des supports électroniques. »

in Après le livre / François Bon. – Paris : Seuil, 2011. – 275 p.

Pour François Bon, le livre c’est le WEB… dorénavant… et il le met en pratique avec son livre atelier en construction permanente : son Tiers livre. Et, il n’est pas le seul à penser ainsi…

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Si le livre c’est le web, et plus particulièrement le site web d’un écrivain, quelle va être la version que nous allons consulter ?

Quelle sera la version la plus fidèle pour entendre la pensée de l’écrivain ? Celle qu’il considérera comme ultime ? La moins sujette à remords ?

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Pour Après le livre : 9 éditions en 9 mois pour cet exemple… exemplaire… Beaucoup d’interventions sur le texte originel parce que le texte a été mis en premier lieu sur le site de l’auteur et que les lecteurs ont fait des commentaires, interagit donc… Mais, attention, si ces interactions avec les lecteurs peuvent être intéressantes, elles ne sont pas systématiques. Elles peuvent être pertinentes pour certains projets. L’auteur reste maitre de son texte, de sa parole et de sa voix. L’écriture numérique permet d’explorer de nouveaux rapports de diffusion et d’échanges et n’est pas un gadget « ludique » pour que ce soit plus « fun » !

Pour le bibliothécaire, quel exemplaire choisir pour mettre à disposition de ses lecteurs et en définitive, quelle version conserver ?

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La version imprimée des livres de Publie.net ? Publie.papier

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On pourra ensuite travailler la forme de l’impression. Peut-être que les bibliothèques, un jour, vont se mettre à acheter ces machines réservées jadis aux imprimeurs, machines de taille réduite qui permettent d’imprimer à la demande l’exemplaire d’un livre. Ce serait d’ailleurs une suite logique des opérations de numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques : offrir une version imprimée gratuite ou payante à ceux qui le souhaitent.

Et il faudra bien alors se mettre à travailler la forme du livre (embaucher de nouveaux professionnels ?). Il ne suffira pas simplement de numériser un livre, mais travailler l’objet livre à imprimer… et très certainement, avec l’un d’entre vous ou l’un de vos élèves – designers du livre.

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Sonia Landy Sheridan, ”Generative Systems”, 1973

D’ailleurs, dès 1970, l’artiste Sonia Landy Sheridan fonda le programme de systèmes génératifs, associant scientifiques, industrie, artistes et étudiants diplômés pour ainsi explorer les «implications des révolutions des technologies de communication dans l’art», ce dans une approche autant théorique que pratique. Elle travailla notamment avec 3M et Xerox sur ces nouvelles machines qui révolutionnent déjà le monde du livre.

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Le photographe Marcopoulos avec une Xeros s’est approprié ces machines pour éditer des photographies parues sur son blog en collaboration avec l’éditeur géant new-yorkais Rizzoli

Un livre numérique a t-il moins d’épaisseur qu’un livre numérique ?

Bien entendu, ma question peut être comprise de plusieurs manières…

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Des réservoirs de livres numériques ont commencé à se constituer… Je cite ici Gallica, le projet d’une bibliothèque publique, la BNF.

J’aurai aussi pu démarrer par celui du projet Gutenberg de Michael Hart, auteur du premier livre numérique, celui qu’il a mis en ligne le 4 juillet 1971 sur les quelques ordinateurs en réseau à son époque, du temps d’Arpanet.

Avant 1991, 1000 ordinateurs seulement étaient connectés en réseau. En 1991, Tim Berners-Lee et son équipe inventent Internet. Un an après, en 1992, 1 million d’ordinateur sont reliés et en 2016, on atteindra plus de 2 milliard d’appareils connectés (PC, smartphones, tablettes).

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Tim Berners-Lee / Gutenberg

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Les sources du savoir et de la connaissance, les objets livres, petit à petit, sont numérisés et se retrouvent accessibles en ligne. C’est une révolution majeure pour le mode d’accès et la transmission culturelle.

Je ne vais rentrer dans le détail mais je voudrai évoquer une des caractéristiques les plus importantes développée par Tim Berners-Lee, le lien hypertexte.

Parce que c’est cette invention, à mon avis, qui permet un renouvellement de la manière d’imaginer les livres de demain… la manière de les concevoir, de les lire et de transformer l’expérience de lecture des lecteurs…

D’ailleurs bien avant l’invention du web, des auteurs ont déjà pensé lien hypertexte et d’autres manières de raconter des histoires…

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Marelle est un roman de l’écrivain argentin Julio Cortázar publié en 1963.

Une note en début de livre annonce que Marelle, qui se compose de 155 chapitres, peut se lire de deux manières. Soit de manière linéaire, du chapitre 1 au chapitre 56, soit de manière non linéaire en partant du chapitre 73 et en suivant un ordre indiqué en début de livre.

Cortazar n’est pas le seul à avoir essayer de jouer avec la forme, le support et le contenu… Voir Borges ou Pérec et sa Vie mode d’emploi en 1978, construit sur le principe des grilles de mots croisés et qui reste difficile à reproduire, à composer car pour certaines pages, Pérec, a caché des acrostiches.

Marelle n’est pas un livre dont vous êtes le héros mais il expérimentait déjà la lecture aléatoire et permettait d’avoir une autre expérience de lecture.

Plus récemment, en 2000, La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski innove. En premier lieu, le format et la structure du livre ne sont pas conventionnels, sa mise en page et son style sont inhabituels.

Il contient par exemple de copieuses notes de bas de page, qui contiennent souvent elles-mêmes des annotations. Certaines sections du livre ne renferment que quelques lignes de texte, voire juste un mot ou deux répétés sur la page. Cette distribution des vides et des blancs, du texte et du hors-texte, peut susciter des sentiments ambivalents d’agoraphobie ou de claustrophobie mais reflète aussi certains événements intérieurs au récit.

Un autre trait distinctif du roman réside dans ses narrateurs multiples, qui interagissent les uns avec les autres de manière déroutante.

Enfin, le récit se dirige fréquemment dans des directions inattendues. Le livre vient d’être réédité mais son coût de fabrication reste élevé.

Le Web, dès lors, peut être pour les auteurs une alternative pour inventer de nouvelles formes.

Des auteurs contemporains jouent aujourd’hui avec les codes du Web d’autant que l’auteur qui écrit aujourd’hui sur le Web est confronté à d’autres problématiques : celles notamment de l’inattention de son lecteur et de cette « manie » courante de ne plus lire que par fragments… L’écriture par fragments se prête bien au Web.

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Pour lire… Pour écrire… Il faut souvent choisir un lieu… son lieu… …Un endroit pour être bien (corps/esprit)… un espace stimulant… Être seul ou dans une agora… Sur support imprimé ou numérique… La lecture numérique nous invite à poser la question de nos manières de lire

Anne Savelli travaille aussi la forme du livreImmuable un livre ?

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Marcello Vitali-Rosati est professeur adjoint de Littérature et culture numérique au département des littératures de langue française à l’Université de Montréal.

Plutôt que d’écrire un nouvel article théorique, en décembre 2012, il s’est décidé à raconter une histoire quotidiennement pendant un an en essayant de capter l’attention de ses lecteurs, en jouant sur la forme de courts fragments. Son site Navigations fonctionne ainsi  :

L’abondance des contenus nous fait souvent peur. Nous avons besoin d’une structure, d’un dispositif qui produise unité – sens. Les éléments éparpillés doivent trouver un tissu. Il faut des règles, les règles du jeu.

L’expérience d’écriture proposée ici s’impose un cadre.

D’abord, une limite de temps : un texte par jour posté à 21h UTC pendant un an – du 12-12-12 au 13-12-13. Épuiser ce temps est la première tâche de cette écriture.

Ensuite, des structures formelles : une longueur journalière du texte de 1000 caractères – dictée par le temps de lecture requis et par la possibilité de visualiser le texte dans un écran sans scroller.

Et encore, un lien fort entre les textes : un élément de continuité reliera l’écriture d’un jour avec celle du jour suivant. L’ordre sera donc chronologique.

Enfin, un dispositif technique : du code html greffé sur spip. À l’intérieur de ce cadre, aucune contrainte de contenu.

Le parcours qui se produira sera une navigation libre dans un périmètre défini.

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Un livre numérique a ensuite fixé le texte, paru aux éditions Publie.net, le conservant pour éviter le risque de disparation du site.

Le site d’Anne Savelli – Dans la Ville haute – a disparu car l’adresse du site n’a pas été renouvelée… une inattention de l’auteure cette fois… Il n’y a pas que les lecteurs qui sont inattentifs. Pardon Anne… 😉

N’empêche, le livre numérique fixe une forme mais ne permet pas toujours de retrouver l’expérience de lecture initiale comme celle où l’on découvrait chaque jour le texte de Marcello ou le parcours aléatoire que nous pouvions faire dans les images d’Anne Savelli.

Comme l’évoque ce récent colloque à Montréal, les frontières sont à renégocier en permanence entre livre et numérique. Faut-il d’ailleurs que le livre sur le web soit systématiquement imprimé ? Certains auteurs choisissent délibérément que leur web livre ne pourra être imprimé…

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LE NAURNE est un feuilleton de littérature numérique en 15 épisodes créé par deux auteurs : Léo Henry et luvan et la graphiste Laure Afchain.

Un vendredi par mois, nous découvrons l’histoire imaginée par les deux écrivains et mise en scène conjointement par la graphiste. L’idée initiale est, en effet, de jouer avec les codes du web – les ascenseurs, les transparences, les cadres… pour chaque épisode. Expérimenter en réel une nouvelle manière de raconter, non artificielle, qui sert l’histoire à raconter…

On est loin du livre homothétique et ici, la lecture est continue. Il n’y a pas de sons ni d’images (parfois des plans, des schémas).

Léo Henry dit que pour lui, un livre numérique c’est un livre qu’on ne peut pas imprimer sans en perdre une de ses dimensions… Pour l’instant, la plupart des auteurs et des éditeurs ne voient pas encore la potentialité de ce nouvel outil. Et il ne s’agit pas ici de créer une nouvelle forme du cédérom…

Je ne sais pas si nous arriverons dans le futur à proposer une offre de prêt de livres numériques en bibliothèque préservant la diversité des publications – petite édition notamment – mais il est certain que développer les résidences d’écriture numérique de cette manière est un axe pour soutenir la création littéraire et favoriser les échanges avec le public. Léo Henry et Luvan ont déjà proposé deux rendez-vous avec leurs lecteurs à la Médiathèque André Malraux… à suivre… le prochain épisode vendredi 10 avril 2015…

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Voici la forme de l’épisode 4. Je vous invite à découvrir les épisodes déjà parus sur lenaurne.fr.

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D’autres formes, d’autres jeux… Oulipo gare à toi…  Ici l’expérience de Mathilde Roux. Les auteurs jouent toujours avec la structure du texte et d’autant mieux s’ils connaissent les rudiments du code !

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Kiibook est née d’une rencontre entre un bibliothécaire (Alexandre Simonnet) et le travail de Jean luc Lamarque , un artiste numérique en 1997. Il venait d’inventer le pianographique (http://www.pianographique.net) qui était un instrument multimédia graphico-musical qui permet de mixer divers médias issus du web. C’est un peu l’ancêtre de wj’ing.

L’idée a été de développer un projet autour de la littérature numérique, de faire le lien avec la structure qui accueillait le projet (une bibliothèque où l’écrit classique à une grande importance) tout en travaillant sur la désectorisation entre les secteurs numériques et patrimoniaux.

Les objectifs étaient assez simples, il s’agissait de faire connaitre davantage le livre d’artiste au grand public et d’ouvrir le cercle restreint des amateurs du livre d’artiste à des développements numériques possibles afin qu’il y ait des échanges et des rencontres sur des modes de création plus populaires actuellement plébiscités par le public et eux aussi fondés sur les techniques du mix-média.

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L’expérience Kiibook proposée par la bibliothèque Carré d’art de Nîmes permet à qui le souhaite de créer des livres virtuels en PDF  grâce à plusieurs alphabets de lettres et de signes qu’il s’agit de combiner. Un blog associé permet de voir les contributions des participants.

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Je ne vais pas multiplier les exemples.

Vous avez compris, je pense, la richesse de contenus qui est train de naitre sur le Web. Et quel est dorénavant notre souci en bibliothèque pour suivre la production de certains auteurs, la difficulté pour faire connaître leurs textes – nous allons avoir besoin de nouveaux outils de mise en valeur pour les mettre en avant. Le problème de la conservation est encore plus vaste. A part de rares exceptions, une grande partie du Web des origines est irrémédiablement perdu…

Saluons toutefois, la naissance, depuis 2006, d’un dépôt légal du Web mis en place par la BNF. Et qui pourra être consulté dans certaines bibliothèques de villes françaises.

Pour conclure, un constat : vous avez eu raison de mettre un S à exemplaire pour votre colloque. Mais le concept d’exemplaire n’est sans doute déjà plus pertinent pour  rendre compte de la création littéraire en cours…

A suivre…

« La liberté que constitue la bibliothèque, il est parfois difficile de se la représenter » (Morceaux choisis, #11)

Publié le

Parce que la profession se remet en question périodiquement et surtout en ce moment, au temps de la mutation numérique induite par le transfert des sources de savoir sur des disques durs d’ordinateurs accessibles à distance ; parce qu’elle ne sait plus, semble-t-il, où se situe son cœur de métier : il est bon d’écouter des voix extérieures qui nous rappelle que les bibliothèques ont souvent été une cible pour les empêcheurs de penser par soi-même.
Il me semble que notre cœur de métier est toujours le même et si nous utilisons un vocabulaire actuel : le rôle de la bibliothèque est toujours d’être « un hub » (pardon, il faut vivre avec son temps), un endroit pour donner accès aux textes et aux sources de la connaissance, permettre leurs transmissions. Reste à s’interroger avec Einstein : « La seule chose que vous devez savoir est où se trouve la bibliothèque. » Elle est lieu de passage ouvert, lieu des sociabilités ou lieu pour la réflexion intérieure, dans tous les cas, elle favorise la respiration de l’individu pour qu’il devienne ou reste un citoyen…
Ce nouveau billet pour réactiver cette mémoire de silence, endormie depuis quelques temps…
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La bibliothèque Carnégie de Reims

« Le vin, comme on sait, travaille dans les caves. A l’intérieur des bouteilles continue une vie mystérieuse, différente selon les années et les crus tels que le certifie l’appellation d’origine. Cette appellation, le vin ne la justifie pas seulement pas sa provenance : pour devenir le grand ou le bon cru qu’il est ou est supposé être, le vin doit de surcroît attendre et ce n’est qu’au bout de plusieurs années, marquées par une activité intense et passive, qu’il acquiert son identité la plus propre, quitte aussi à la perdre s’il n’est pas bu à temps.

Si les bibliothèques sont littéralement les caves du savoir humain (dans l’obscurité des livres fermés le sens travaille continûment), les livres présentent toutefois sur les bouteilles l’avantage de pouvoir être bus (lus) à tout moment et de se conserver sans limitation, ainsi que celui d’être inépuisables : même bue d’un trait, la bouteille reste pleine. S’il arrive que le sens s’évente, c’est seulement parce que le vin n’était qu’une piquette, eût-elle été primée en son temps, comme c’est d’ailleurs très souvent le cas.

Mais trêve de plaisanterie. Ce qu’est la bibliothèque, ce qu’elle préserve et ce qu’elle rend possible, nous ne le mesurons vraiment que lorsqu’elle disparaît : aucune image n’est plus parlante que cette célèbre photo prise à Londres pendant la dernière guerre où des hommes, comme des ombres calmes, consultent des livres dans les rayons d’une bibliothèque éventrée par les bombes. Et nul plus émouvant éloge que celui de Varlam Chalamov dans Mes bibliothèques, qui est le livre de la privation, de la rareté et des retrouvailles. Par delà la difficulté d’accès, la rareté des vrais livres voire leur totale absence – comme à la Kolyma pendant des années, jusqu’au point ne plus savoir lire – la bibliothèque revient dans sa mémoire, et dans le clair-obscur d’un monde de petites maisons gelées qu’un poêle réchauffe à peine, comme une sorte de crèche où chaque livre est tour à tour le sauveur : non pas une grande bibliothèque comblée de tout son poids d’institution, mais une simple cabane dont on a la clef et où quelqu’un a pris soin, dans le dos de la dictature, de constituer un catalogue, c’est-à-dire de sauver une langue.

La liberté que constitue la bibliothèque, il est parfois difficile de se la représenter en voyant les silhouettes d’une salle de lecture ramassées sous leurs lampes, mais c’est autrement, selon l’invraisemblable polyphonie des rayons ou selon le sommeil des réserves qu’il faut y penser. Privée ou publique, immense ou petite, spécialisée ou capricieuse, la bibliothèque est toujours et avant tout réserve, conservatoire de la différence, vestibule infini d’un palais grand ouvert.

Chaque livre est composé de lignes et se ferme sur elles comme une boîte. Dans l’empilement infini des boîtes à lignes, la bibliothèque écrit et suspend le rêve d’une ligne continue qui est comme un murmure : non le bruit des pages tournées par les lecteurs, assez semblable à celui du pas avançant sur un lit de feuilles, mais venant se poser sur lui comme une matière diffuse, la poudre ou le pollen de toutes les voix qui se sont tues et qui parlent, de toutes les boîtes qui se sont refermées et qui s’ouvrent.

Article Bibliothèque in Le propre du langage : voyages au pays des noms communs / jean-Christophe Bailly. – Paris : Seuil, 1997. – pp. 23-25. – (La librairie du XXe siècle).

Cut-up partiel et partial d’un médiateur numérique d’aujourd’hui (Texte lu au Congrès de l’ABF 2014)

Publié le Mis à jour le

Ce texte a été écrit pour le Congrès des Bibliothécaires à Paris qui s’est tenu du 19 au 21 juin à Paris, pour la table-ronde Atouts et faiblesses de notre métier.
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 photoJe ne suis plus celle que j’étais, nous dit Anne Verneuil, dans son article inaugural au dossier de la revue Bibliothèques, la revue de notre communauté. Je ne suis plus celle que j’étais…moi non plus… Je ne suis plus celui que j’étais quand j’ai débuté dans ce métier, il y a un peu plus de vingt ans maintenant. Ou plutôt, je ne fais plus tout à fait le même métier. Je m’occupe de médiation numérique. C’est nouveau, et puis c’est vieux comme le monde.

Martine Farget, Directrice Générale Adjointe à Plaine Commune en Seine Saint-Denis martèle : Le numérique a modifié le « cœur de métier » des professionnels, il est omniprésent dans la relation avec l’usager. Il paraît impensable pour les élèves venant travailler en médiathèque de ne pas pouvoir apporter leur ordinateur ou entreprendre des recherches sur ceux qui sont mis à leur disposition au même titre que pour des documents papiers. Le numérique a modifié le cœur de métier de tous les professionnels, pas seulement le métier des bibliothécaires.

Nous devrions être heureux de la situation présente. Celle du bouleversement total de notre métier et de tout son environnement, de son écosystème. Mais nous ne le sommes pas, pas encore. Des nostalgies nous gagnent, parfois… Je suis un indécrottable optimiste. Et, nous devrions être heureux de voir le monde s’engager dans un monde qui nous est cher… le monde de l’écriture.

C’est cela, la chose importante pour moi : Le Web, c’est l’écriture.

Le Web, ce n’est pas seulement le caricatural Facebook. Le Web, ce n’est pas de la technophilie béate… Ce n’est pas Apple avec son Ipad qui a transformé le monde. Mais cette possibilité donnée à chacun – en principe – grâce aux réseaux  : cette potentialité de pouvoir écrire, de s’exprimer de mille manières possibles.

Le Web, c’est l’écriture. L’écriture partagée… immédiate parfois. Ce sont parfois bouteilles à la mer avec messages dedans… Ce n’est pas que du commerce ou une nouvelle manière de profiler les usagers… bien que ce soit cela aussi.

C’est Michel de Certeau dans son Invention du quotidien, en 1980, qui cite François Furet : La modernisation, la modernité, c’est l’écriture. Et de commenter :« la généralisation de l’écriture a en effet provoqué le remplacement de la coutume par la loi abstraite, la substitution de l’Etat aux autorités traditionnelles et la désagrégation du groupe au profit de l’individu. Or cette transformation s’est opérée sous la figure d’un métissage entre deux éléments distincts, l’écrit et l’oral.»Il avait eu une belle intuition Michel de Certeau… Cette omniprésence de l’individu…

Ce qu’il ne pouvait pas encore imaginer, c’était la naissance du Web, onze ans plus tard, en 1991. Et le formidable déplacement engagé depuis : ce mouvement des sources du savoir vers une dématérialisation en réservoirs gigantesques reliés entre eux, dématérialisation que nous avons plus subit que souhaitée ou anticipée. Dans notre littérature professionnelle, pourtant, nombreuses sont les occurrences concernant une bibliothèque universelle. Nous devrions être heureux de cette situation. L’utopie de Paul Otlet et de son Mudaneum semble se réaliser. Il y a bien sûr déjà des dangers pour que tous ces immenses réservoirs ne soient contrôlés que par quelques acteurs mondiaux… totalitaires.

Le Web, c’est l’écriture. Nous vivons une époque formidable et paradoxale, celle du grand mixage entre un oral que je qualifierai d’écrit – un oral écrit –à l’image de twitter ou de facebook… et de nouvelles formes de diffusion de l’écrit que sont les blogs, les ateliers d’écrivains sur le Web, les instagram, les snapchat, les you tube – des mots, des images, des sons – l’écrit et l’expression sont multiples aujourd’hui – la profusion des portes d’accès aux savoirs nous perturbe – nous sommes dans le labyrinthe borgésien, un peu perdu – le manque de repères nous désole – nous rêvons voyages mais nous n’avons pas encore envie d’explorer – enfin, pas tous, heureusement – il y a des crapauds fous comme dirait Lionel Dujol, il y a même de plus en plus de crapauds fous parmi nous –

Un médiateur numérique pour moi, ce n’est pas la nouvelle mue de l’animateur multimédia – ce n’est pas la même chose – Ce qui nous désoriente toujours, c’est la mutation des figures d’autorité et nous ressassons – ah, mais tous ces blogs, ces livres numériques, c’est de l’autoédition – hein, c’est de l’autoédition. – autoédition, le mot qui condamne – Non, les blogs ce ne sont pas de l’autoédition – les figures et formes de validation ont changé…

Et puis, il y a ces nouvelles interactions à base de like, de cœur, qui nous semblent tout transformer en un immense monde kitsch.. Ah, ils racontent leurs vies sur les réseaux sociaux… mais qu’ont-ils à raconter sur ces réseaux sociaux… réseaux sociaux où ils sont, les gens, parce que justement, dans la vraie vie comme on dit maintenant – ce qui est un peu idiot entre-nous, dans la vraie vie, ils ne trouvent pas, les gens, des liens ou des solidarités qui leur importent. Voudraient bien mais ne trouvent pas. Plus d’un milliard d’individus sur Facebook. Incroyable, non ? Comment des réseaux sociaux littéraires comme Librarything ou Babelio ont réussi – eux – à transformer leurs usagers en contributeurs, à leur parler des livres qu’ils aiment ? A créer un lieu qui n’est pas virtuel puisqu’il y a interactions partages, rencontres et échanges fructueux.

Tous ces éléments nous perturbent tant, que certains, ne supportant plus le baroque foisonnant et permanent, veulent se déconnecter. On n’a pas encore commencé d’explorer ces nouvelles terra incognitae que nous voulons déjà nous déconnecter. N’oublions pas certains, qui ne le sont pas encore… connectés.

« La libre expression, la libre circulation des idées sont l’une des missions fondamentales des bibliothèques. Les bibliothécaires doivent donc rester attentifs à la constitution des collections, à leur politique d’acquisition, défendant toujours le libre accès à l’information pluraliste, pour les publics les plus divers. »Ce n’est pas moi qui le dit, mais Anne Verneuil et Claudine Belayche, toutes deux, Présidente et ex-Présidente de l’ABF, dans leur éditorial à la revue Bibliothèques. L’information pluraliste qui se trouve justement sur le Web, nous nous devons de l’explorer pour en détecter les pépites, les valoriser pour participer à cette grande et ambitieuse fabrique du citoyen qui fait partie de nos missions.

Je vous le dis tout net – sans jeu de mots – la pire idée que nous pourrions avoir serait d’imaginer des bibliothèques et des bibliothécaires déconnectés. J’adore les définitions et notamment celle-ci, celle du mot qui caractérise notre dépression actuelle.

Ce mot, cest ladjectif : asynchrone.

L’asynchronisme désigne le caractère de ce qui ne se passe pas à la même vitesse, que ce soit dans le temps ou dans la vitesse proprement dite, par opposition à un phénomène synchrone. Notre problème avec le Web est que sur ce Web, tout se passe partout et tout le temps et que nous ne pouvons pas – bien évidemment – être partout. On n’est pas au cinéma ou dans un roman, mais dans la vraie vie : matérielle, pragmatique, tellement concrète…

Le temps de l’ubiquité est pourtant arrivé et nous sommes désarmés. Nous avions l’habitude de travailler en équipes, efficaces, spécialisées… mais cela c’était avant…

Nous allons devoir investir les communautés agissantes du Web – pas comme un poisson rémora avec son requin, pas comme un parasite en essayant d’exister malgré tout avec nos anciennes manières de faire ou de communiquer – mais en faisant partie des communautés agissantes du Web et en apportant notre pierre à la construction et aux partages des savoirs. Défendre ce que ce sont nos biens communs…

Notre légitimité comme experts en recherche et conseils en information reviendra. Nous adorons classer, inventorier, valoriser… Qu’est ce que le Web change à cela ? Rien… C’est notre nature profonde. Repérer, classer, inventorier, valoriser, conserver… Pourquoi soudain ne plus le faire pour le Web ? Est-ce que ce n’est que pour des raisons de moyens humains et matériels ?

Travailler avec les communautés agissantes est une nécessité car nous ne pouvons pas agrandir indéfiniment nos équipes – les budgets sont en baisse, les postes se font rares, les contractuels ne sont pas remplacés… vous connaissez… Qui, dans cette salle, en 2001, aurait parié 1 euro sur la réussite de l’encyclopédie Wikipédia ?

J’organise depuis un an des ateliers de contribution à l’encyclopédie Wikipédia. L’ambition de ces ateliers est de construire une petite communauté de fourmis venant apporter leur pierre à ce chantier encyclopédique mondial.

A chaque séance mensuelle, il y a toujours de nouvelles personnes, curieuses, qui sont soit intéressées pour écrire, participer soit en ont assez de contribuer seules devant leur écran chez eux. Veulent rencontrer les autres. Ça tombe bien, on est ravi d’accueillir les autres. Ce type d’atelier à structure participative et horizontale est particulièrement bien adapté : la bibliothèque a les ressources nécessaires pour sourcer les articles comme on dit chez Wikipédia et devient lieu où l’on se retrouve. C’est un Fablab textuel…

Une des dernières participantes, une professeure de lycée, me demandait vendredi dernier : mais pourquoi tous ces contributeurs n’écrivent-ils pas des livres ? Quelles sont leurs motivations ? Pourquoi font-ils cela gratuitement ? Elle ne comprenait pas… elle était curieuse et un peu perplexe mais souhaitait tout de même organiser avec ces élèves une découverte de Wikipédia.

Eh oui, pourquoi, cette envie de participer, de faire sans en attendre de gratification… Il y a quelque chose qui ne tourne plus rond… On a un pseudo en général sur Wikipédia, on reste anonyme. Personne ne connait les 1350 contributeurs de l’article Strasbourg, article qualifié de qualité et qui est vu en moyenne chaque jour 1000 fois… 1000 fois…

Mince, tout ne serait pas que Selfie, alors sur ce Web…

C’est en analysant et en réfléchissant à ces nouvelles pratiques, ces nouveaux usages que nous arriverons à repositionner nos actions et nos indispensables médiathèques comme lieu d’échanges, de rencontres et de partages au sein de ce flux incessant du savoir. De ne plus rester au bord du fleuve à regarder l’eau couler.

Je ne suis plus [celui] que j’étais. Voici venu le temps des « bibliothécaires « reprofilés » – quelle horrible formule technocratique, vous ne trouvez pas ? – expression lue de nouveau dans la revue de notre communauté… Et, Anne Verneuil de nous interroger : Cela fait quelques temps déjà que nous assistons à un brassage de métiers dans notre métier. Voici venu les community managers, les web designers, les animateurs, les médiateurs, les producteurs de contenus… Quelle définition de leur travail ? Quelle intégration au sein des équipes ? Quels savoirs apportés, partagés, multipliés ? Moi : Va-t-on encore continuer de créer de nouveaux départements dans les médiathèques – moi je ne veux pas de département médiation numérique – je veux que mon poste s’arrête dans quelques années quand la mission – je l’espère – aura été remplie. La facette numérique doit faire dorénavant partie de tous les profils de poste, à des degrés divers, bien entendu.

A l’heure des Moocs – ces cours en ligne – ou des Fablabs – ces ateliers participatifs – comment allons-nous apprendre dorénavant ? A l’heure du web participatif, ce web que l’on apprend en faisant, comment allons-nous nous former pour transmettre ? Avons-nous perdu notre capacité de transmettre ? On voit bien la difficulté pour nos organismes de formation continue de renouveler leurs propositions. Ce monde va trop vite. Un outil apparaît, vit et le lendemain, ou presque, est déjà remplacé par un autre. On apprend désormais en partageant des savoirs ou des pratiques. On essaie un outil. On devient un bêta-testeur. Cela ne fonctionne pas avec le public que nous visions. Tant pis, on utilise un autre outil. On remettra donc vingt fois sur le métier son ouvrage. La formule de Boileau est bien adaptée dans notre cas…

Dans ce monde de vitesse, il nous faut nous hâter lentement, comme l’écrit encore Boileau dans son Art poétique. Un exemple : des collègues voulaient créer un blog autour des littératures ados. Comment avons-nous procéder ? Ce n’est pas l’informaticien de service qui l’a créé ce blog et puis l’a alimenté des articles envoyés par les bibliothécaires. Les bibliothécaires, jeunesse dans notre exemple, nous les avons réuni avec une collègue compétente et nous avons appris à utiliser et écrire ensemble un billet sur la plateforme de blog choisie. Chacun est devenu un contributeur, maîtrisant l’écriture et la mise en ligne. Ainsi pour chaque projet, la méthode est de trouver la personne qui connait l’outil et qui partagera son savoir aux collègues ce qu’il sait… C’est une manière de transmettre collaborative qui permet de démystifier la technique. Petit à petit, l’ambition est de redonner de la confiance aux bibliothécaires qui utilisent les outils du Web. Non, il n’y a pas besoin de connaître le fameux code pour écrire sur un blog. Non, vous ne casserez pas la machine, ou le blog.

Il nous faut refonder la formation pour nous adapter à ce nouveau monde. C’est un retour vers la forme de l’apprentissage des métiers artisanaux d’avant. Cela demande également de réfléchir autrement aux temps de travail – temps de service public, temps de travail interne, temps de formation… Maintenant, apparition de temps d’apprentissage partagé entre professionnels et usagers, dans les fablabs, par exemple. Les frontières se pointillissent… Pardonnez-moi ce néologisme !

Cela implique aussi d’avoir des outils appropriés comme des ordinateurs non bridés par des systèmes de sécurité trop restrictifs pour réaliser cet enjeu de formation capital. Il nous faut acquérir la majorité informatique. Ce n’est pas encore gagné.

Surtout, avant d’avoir l’ambition d’animer une communauté agissante sur le web, comme je lis souvent, il nous faut tester les outils et les usages, les connaître en les utilisant, les triturant assez pour en avoir une réelle appropriation critique. C’est ce qui manque encore. On ne teste pas assez. On n’est pas encore dans cette culture du test qui est pourtant comme une marque de fabrique du Web.

Je vais m’arrêter là. Je ne suis plus [celui] que j’étais depuis que j’ai commencé à travailler en bibliothèque. Ce n’est pas uniquement le métier qui a changé mais le monde et sa manière de transmettre les connaissances, depuis la montée en puissance des réseaux informatiques, depuis 1991. Je ne sais pas plus que vous où nous allons. Mais nous y allons. Je ne suis pas inquiet concernant l’avenir des bibliothèques à la condition d’ouvrir nos yeux et nos oreilles pour écouter nos publics et de ne pas rester au bord du fleuve.

C’est ce que rappelait Jean Gattegno, en 1989, dans son discours aux bibliothécaires : Je crois que c’est par cette écoute des usagers que vont mourir ou grandir les bibliothèques. C’est une phrase ambigüe. Comment la comprendre ? Je fais le pari qu’elles vont grandir, les bibliothèques. Je suis un indécrottable optimiste. On vit un changement majeur : celui où paradoxalement les écrits semblent s’envoler et nos paroles… rester… mais c’est une autre histoire. Apprenons à résister positivement !

Merci

FQ

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Ce texte est une sorte de cut-up, cher à William Burrough, et j’ai puisé dans la revue bibliothèques pour commenter certaines phrases ou remarques de nos collègues. Merci à eux.

Du concret :

Allez jeter un œil à cette formidable revue : MCD : magazine des cultures digitales qui vous apportera un éclairage enrichissant sur les communautés agissantes du Web. Surtout ne nous regardons pas trop le nombril, regardons autour de nous : les autres expérimentations qui ont lieu sur notre petite planète.

Le médiathème Jeux Vidéo est paru : écrit par des praticiens… une mine de réflexions… à ne pas manquer…

Enfin, pour que nous trouvions du livre numérique en bibliothèque un jour…  n’oubliez pas d’aller signer la pétition d’Eblida qui sera remise aux instances de la Commission Européenne à la rentrée…

« Platon voyait l’écriture comme beaucoup voient les ordinateurs aujourd’hui : une technologie extérieure et étrangère » (Walter J. Ong)

Publié le Mis à jour le

Flânerie Quotidienne

2014-06-01 15.13.26 Buren – MAMCS – Strasbourg – juin 2014

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« La plupart des gens sont surpris, et beaucoup déroutés, d’apprendre que les arguments souvent avancés aujourd’hui contre les ordinateurs sont essentiellement les mêmes que ceux avancés par Platon dans le Phèdre (274-277) et dans la lettre VII contre l’écriture. Comme Platon le fait dire à Socrate dans le Phèdre, l’écriture est inhumaine, elle prétend établir en dehors de l’esprit ce qui ne peut être en réalité que dans l’esprit. Elle est une chose, un produit manufacturé – on fait le même reproche aux ordinateurs. Deuxièmement, insiste le Socrate de Platon, l’écriture détruit la mémoire. Les utilisateurs de l’écriture perdront peu à peu la mémoire à force de compter sur une ressource externe pour parer à leur manque de ressources internes. L’écriture affaiblit l’esprit. Aujourd’hui, les parents et d’autres craignent que la ressource externe que sont les calculatrices ne remplace la…

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Les 3 grandes missions du GLN

Publié le Mis à jour le

Groupement pour le développement de la Lecture Numérique

livre

COMMUNIQUE DE PRESSE

Création du GLN – Groupement pour le développement de la Lecture Numérique

Pour diffusion  immédiate

Paris, le  15 0ctobre 2013 – Les professionnels de l’édition annoncent la création du Groupement pour le développement de la Lecture Numérique (GLN).

L’objectif du GLN est de fédérer tous les acteurs francophones professionnels autour du développement du format numérique et de sa diffusion auprès d’un large public.

Avec la mutation des métiers du livre et l’émergence de nouvelles activités, les acteurs professionnels du secteur se mobilisent pour contribuer à l’avènement d’une véritable industrie de la lecture numérique.

Ainsi, le GLN entend être le pivot pour tous les professionnels travaillant dans le secteur de l’édition pour organiser et structurer la filière numérique dans une complémentarité constructive avec le format papier.

A la fois observatoire des tendances, de l’activité économique et des usages, le GLN entend œuvrer pour donner aux professionnels…

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