Mois: novembre 2009

Réflexion autour du livre et de l’oeuvre numérique par Alain Pierrot et Jean Sarzana

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Pour contribuer aux débats sur le livre numérique, et avant les Assisses professionnelles du livre organisées par le Syndicat Nationale de l’Edition (SNE) vendredi 25 novembre, j’accueille sur ce blog une longue réflexion d’Alain Pierrot de la société i2s.fr et de Jean Sarzana,  consultant, ancien délégué général du SNE et de la SGDL (Société des Gens de Lettres) pour une proposition de définition du livre numérique.

A la fin de ce billet, je publie les réactions.

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Réflexion autour du livre et de l’oeuvre numérique

par Alain Pierrot et Jean Sarzana

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Il y a longtemps que la réflexion sur l’oeuvre numérique en général, et sur sa définition en particulier, occupe les esprits dans le monde du livre. Il est en effet légitime de bien s’entendre sur ce dont on parle, pour mettre les notions nouvelles en perspective avec les anciennes, en termes de droit comme en termes de marché. Mais depuis longtemps le livre couvre des champs multiples, il se révèle étonnamment flexible, et de surcroît sa matière est en mutation. C’est dire combien l’exercice s’avère délicat.

Récemment, l’édition [1] , puis la librairie [2] ont apporté leur contribution à la réflexion collective sur ce thème. Nous souhaitons proposer ici la nôtre, en deux approches successives. La première s’attache à cerner le champ du livre en tant qu’oeuvre incorporelle, indépendamment de son support, qu’il soit imprimé ou numérique. C’est une démarche d’abord conceptuelle, apparue comme un préalable nécessaire à la réflexion sur le livre numérique lui-même. La seconde approche, plus factuelle, porte sur les attributs du livre imprimé et propose un essai de typologie primaire de l’oeuvre numérique.

Cette contribution ne prétend pas faire le tour du sujet. Elle tend simplement à clarifier le débat en vue de faciliter les échanges en cours et à venir.

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La réflexion sur le livre en tant qu’oeuvre est partie d’une citation de Kant :

« Un livre est l’instrument de la diffusion d’un discours au public, non pas simplement des pensées… C’est là que réside l’essentiel, à savoir qu’il n’est pas une chose qui est diffusée par là, mais … précisément un discours, et dans sa lettre même [3] ».
Et encore : « L’auteur et le propriétaire de l’exemplaire peuvent dire chacun avec le même droit du même livre : c’est mon livre ! mais en des sens différents. Le premier prend le livre en tant qu’écrit ou discours ; le second simplement en tant que l’instrument muet de la diffusion du discours jusqu’à lui ou jusqu’au public, c’est-à-dire en tant qu’exemplaire [4] ».

Cette formulation du grand philosophe allemand, qui souligne la valeur propre de l’oeuvre littéraire et rappelle les caractères principaux du droit d’auteur, nous paraît directement répondre aux interrogations actuelles sur le numérique [5 ].

On pourrait donc avancer que le livre en tant qu’oeuvre se reconnaît aux caractères suivants :

Le livre se présente comme l’inscription d’un discours à l’intention d’un public indéterminé, qui va se l’approprier à sa manière (1).
C’est son caractère de référence qui confère au projet de l’auteur le statut de livre. C’est donc nécessairement une oeuvre achevée, prototype qui va imposer sa structure à ses différents avatars (2).
Les techniques d’inscription et les formes de médiation de ce discours, précises et reconnues, permettent de combler la distance qui sépare, dans l’espace et dans le temps, l’auteur du discours du public de ses lecteurs (3).
L’émetteur et son discours sont identifiés grâce à un code commun implicite – la publication – entre l’auteur et ses lecteurs. Ce code donne aussi l’assurance que la forme donnée au discours, les modalités de sa diffusion et les conditions de son appropriation par le public répondent bien à l’intention de son auteur (4).

(1) La référence au discours ne vise pas seulement la dimension textuelle de l’écriture (comme elle pouvait le faire pour Kant à son époque). Dans une bande dessinée, un livre d’art, un livre scolaire ou un guide de voyage, le discours est largement porté par l’image, qui représente bien davantage que la simple illustration d’un texte écrit [6]. Quant à l’appropriation de l’oeuvre par le public, elle s’opère au gré du lectorat, sans que l’auteur
puisse savoir comment.

(2) Pour répondre aux critères d’une oeuvre, un livre doit nécessairement se présenter comme achevé – même s’il n’a pas reçu de l’auteur sa forme définitive [7] – et son auteur identifié comme tel – même s’il reste anonyme. Il doit également s’ériger sur un discours construit. Au-delà de son caractère achevé, qui définit l’oeuvre par les limites qu’elle se fixe à elle-même, le livre doit exprimer une cohérence et apparaître comme un tout structuré, ces caractères étant perceptibles par d’autres que par son seul auteur [8]. Chaque livre constitue une référence unique, dans l’espace et dans le temps.

(3) Les techniques d’inscription vont de la copie manuelle à l’imprimé et de l’ouvrage papier numérisé à
l’identique au fichier numérique né et diffusé sur Internet. Par « formes de médiation précises et reconnues », on entend la transmission de l’oeuvre en direction de ses publics (par les ateliers monastiques, le colportage, la diffusion, les librairies, les foires et salons, les bibliothèques, la toile), sa conservation (dans les archives du libraire ou de l’éditeur, aux fins d’exploitation de l’oeuvre, ou au dépôt légal, pour des raisons d’ordre patrimonial) et la communication faite à partir ou autour d’elle (la promotion du livre sous toutes ses formes : presse, émissions sur le livre, prix littéraires, lectures publiques, …). Ces formes de médiation sont précises et reconnues dans la mesure où elles font l’objet de pratiques et de normes arrêtées par les professionnels eux-mêmes et admises par le public des lecteurs, étant entendu qu’un livre peut être appelé à sortir de son bassin linguistique et du cadre de son époque.

(4) Ce code commun porte sur les métadonnées de l’ouvrage, qui changent selon les époques (nihil obstat, privilège royal, achevé d’imprimer, notice bibliographique). Les autres conditions posées par le code commun définissent le champ du droit moral.

Cette base une fois établie – avec les correctifs qu’elle appelle – il est moins malaisé de cerner les différentes acceptions que recouvre la notion de livre, sous sa forme imprimée comme sous sa forme numérique.

Le livre imprimé pourrait donc se caractériser ainsi :

Un livre imprimé se présente comme l’inscription sur un support papier d’un discours établi par son auteur à l’intention d’un auditoire indéterminé, à l’issue d’un travail éditorial le plus souvent défini par contrat. Il constitue un ensemble graphique achevé, illustré ou non (1).
Un livre imprimé est reconnu comme tel à travers sa complexion matérielle et les métadonnées qui lui sont propres. Elles lui confèrent son identité et le garantissent comme référence (2).
Les techniques d’inscription de l’oeuvre et les pratiques de sa médiation sont assurées par l’éditeur, qui garantit que la forme donnée à l’oeuvre, les modalités de sa diffusion et les conditions de son appropriation par le public répondent bien à l’intention de son auteur (3).

(1) Ici apparaît la fonction éditoriale, qui établit le texte et le met au jour, l’édite et le publie. Ce travail, auquel le contrat d’édition confère son caractère professionnel, donne vie et réalité formelle à une oeuvre préexistant à son intervention. La formule « ensemble graphique » permet d’intégrer les bandes dessinées ou les ouvrages pour enfants d’où la forme textuelle peut être formellement absente, et qui n’en constituent pas moins des livres où c’est l’image qui porte le discours. En revanche, elle ne prend pas en compte l’image animée ni le son. Le livre imprimé se distingue aisément de l’article de presse – à l’oeil nu, peut-on dire. Quant au catalogue de voyage, à la notice technique et au mode d’emploi, c’est le caractère interchangeable de leur auteur et le défaut de personnalité de leur discours qui en font des documents, et pas des livres. En revanche, ce caractère est reconnu aux catalogues d’exposition dès lors qu’ils ont un discours propre au-delà des oeuvres qu’ils évoquent.

(2) A côté de l’oeuvre qu’il contient, identifiée par son titre, le nom de son auteur et la date de sa publication, chaque livre en tant qu’objet physique dispose de sa propre identité, distincte de celle de tout autre livre (langue, format, poids, ISBN,…). Le bon référencement – audelà des nécessités de l’EDI [9] – est une exigence qu’imposent le respect de l’auteur et celui du lecteur [10].

(3) Confiée aux mains de l’éditeur, l’oeuvre doit y trouver non seulement sa forme matérielle et la garantie de son exploitation, mais aussi l’assurance que l’une et l’autre offrent bien au public l’image que son auteur veut que celui-ci en reçoive. C’est la contrepartie du fait qu’à travers l’éditeur, l’auteur laisse le lecteur s’emparer de son oeuvre (à travers les relais que constituent les librairies, les bibliothèques, …).

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S’agissant du « livre numérique », la réflexion s’appuie sur deux éléments propres aux auteurs, c’est-à-dire aux tenants du « discours » :
– à travers le démembrement du codex [11], la numérisation constitue pour les créateurs une véritable novation quant à la substance même de l’oeuvre. Elle permet son éclatement, facilite sa dissémination à l’infini, interdit pratiquement tout suivi de son exploitation sur le Net – sauf marquage, peu efficace, et traçabilité, coûteuse – et peut conduire à la perte de son identité, partielle ou totale. Les auteurs estiment en conséquence que la numérisation introduit une différence de nature, et pas simplement de degré, dans la réalisation et dans l’exploitation de leurs oeuvres.
– nombreux sont les auteurs qui ont directement acquis sur le Net une expérience vécue, à travers leur recherche personnelle. Explorant les spécificités de la lecture sur écran, moins linéaire que celle du livre, et tirant profit des possibilités de recherche plein texte et de navigation, ils ont souvent intégré dans la trame de leur “discours” les nouvelles conventions de communication du texte enrichi de liens internes et externes (hypertexte et hypermédia : images fixes, son, vidéo). Leur travail de création leur permet ainsi d’opérer une distinction entre différentes sortes d’oeuvres, depuis le livre papier – oeuvre close et fixée dans sa forme – jusqu’à l’oeuvre numérique – oeuvre ouverte, protéiforme et constamment évolutive.

On en arrive ainsi à l’échelle suivante [12] :

A. Un livre est dit « numérisé » lorsqu’il est issu d’un ou de plusieurs ouvrages primitivement réalisés sous une forme imprimée qui ont simplement fait l’objet d’un changement de support.
C’est un ouvrage « clos », achevé au même titre que l’oeuvre papier dont il est directement issu. Il s’apparente à un fac-similé de celle-ci (1).

 

B. Un livre est dit « numérique » lorsque l’ensemble qu’il constitue est originellement réalisé sous la forme de fichiers informatiques par un ou plusieurs auteurs dont il exprime le discours construit sous une forme achevée avec le concours d’un ou de plusieurs éditeurs (2).
Appelé à une large diffusion par la voie exclusive d’Internet, il ne peut être lu que sur un écran, qu’il soit fixe ou mobile (3).
Lorsqu’une oeuvre numérique fait en totalité l’objet d’un téléchargement sur un support papier, cette opération lui confère sous forme dérivée les caractères essentiels d’un livre (4).

 

(1) Lorsque le livre naît de la mise en forme numérique d’un ouvrage originellement réalisés sous la forme imprimée, il ne s’agit pas d’un livre numérique, mais d’un livre numérisé 13. La différence est manifeste, dans la mesure où le premier a une origine et une forme exclusivement informatiques, alors que le second doit son existence aux antécédents papier dont il procède.

(2) Les deux caractères constitutifs du discours – il est construit et achevé – étaient implicitement réunis dans le livre, à la fois objet physique et oeuvre de l’esprit. L’approche numérique met à jour cette dualité originelle du codex imprimé. Or il faut bien la reconstituer autrement qu’à travers l’imprimé, afin qu’un lien subsiste dans l’immatériel entre le tout et les parties.
Pour être numérique, l’ouvrage se doit d’échapper aux techniques autres qu’informatiques. Echappant à l’univers physique, il ne peut être réalisé, publié, exploité et transmis que sous la forme immatérielle d’un fichier. A défaut d’une édition première intégralement numérique, l’ouvrage ne peut plus mériter ce qualificatif.
L’intervention d’auteurs multiples sur ou dans une même oeuvre est un des nouveaux aspects de la création numérique, qui échappe aux paradigmes de la littérature générale. De même, l’oeuvre numérique invite à la conjonction de deux types d’intervention éditoriale, l’une sur le ou les textes constitutifs de l’oeuvre, l’autre sur la création entre eux d’un réseau d’hyperliens qu’on peut audelà d’une certaine masse critique considérer comme une base de données.

(3) Un ouvrage numérique ne peut être diffusé en tant que tel que via un réseau de même nature, et ce à titre exclusif, sauf à perdre sa nature pour en prendre une autre : celle de cédérom s’il fait l’objet d’une gravure, celle de livre s’il est téléchargé à partir d’une imprimante. Il ne peut donc faire l’objet que d’une représentation, toute reproduction lui imposant un changement de support et lui faisant ainsi perdre son caractère originel.
Par voie de conséquence, une oeuvre numérique ne peut être lue que sur un écran, quel que soit cet écran, fixe (ordinateur) ou mobile (téléphone portable, assistant personnel,…)

(4) Lorsque l’oeuvre numérique adopte par téléchargement la forme imprimée, celle-ci appartient ipso facto au champ du livre, sous sa forme de codex (impression à la demande). Le livre apparaît dans ce cas de figure comme un produit directement issu de l’oeuvre numérique. On est donc à front renversé par rapport aux conditions classiques d’exploitation du livre pratiquées jusqu’ici.

C. Le livre numérique se distingue d’autres espaces interactifs en constante évolution et ouverts à tout intervenant extérieur :
– le blog est sans doute la forme la plus répandue de ces ensembles numériques, dont les participants ne sauraient être reconnus comme les co-auteurs de l’ensemble, pour autant qu’il reste ouvert. Si un blog fait l’objet d’une édition, fixant billets et commentaires d’une période donnée, les échanges de cette période peuvent acquérir le caractère d’oeuvre achevée – et ses participants celui d’auteurs d’une oeuvre collective – voire prendre la forme familière d’un livre imprimé [14].

– certains espaces numériques collectifs du type Wiki (Wikipédia, Wikitionnaire,…), se présentent comme une maquette permanente, une sorte de périodique en écriture continue. A la différence du blog, chaque contribution vient amender l’ensemble sans pour autant prétendre lui donner sa forme achevée.
– il existe bien entendu beaucoup d’autres formules intermédiaires, notamment des espaces partie figés, partie ouverts, où peuvent s’incrémenter les apports des internautes [15].

La multiplication de ces initiatives montre que si les contenus nourrissent, les formats structurent. Il faut admettre que ces espaces, sous l’infinité de leurs formes, se prêtent mal à une définition générique et relèvent plutôt de la simple description, tout au moins au stade où nous en sommes.

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On s’est accoutumé depuis longtemps à la double nature du livre, objet matériel et oeuvre incorporelle, sans éprouver dans la sémantique ou la pratique éditoriale le besoin de les distinguer. Le développement de la numérisation et les nouvelles perspectives d’exploitation qu’elle offre aux oeuvres de l’esprit conduisent naturellement à revenir sur cette ambivalence et, à travers elle, à retrouver les analyses de ceux qui ont fondé l’économie de l’édition. C’est ce souci qui a guidé notre démarche.
Celle-ci est loin d’être achevée : outre qu’elle peut être amendée et affinée, reste à préciser la portée juridique des notions qu’elle s’est efforcée de cerner.

AP – JS / mars-avril 2009

Lire la suite : 2 – Quelques conséquences.

(Ce texte est paru initialement sur le site de  Livres Hebdo)

 

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Les notes

[1] Document du SNE sur la définition du livre numérique, dans le cadre de la Commission dite post-Patino
[2] Qu’est-ce qu’un livre ? Les cahiers de la librairie n° 7, janvier 2009
[3] Emmanuel Kant, Qu’est-ce qu’un livre ? PUF / Quadrige 1995 (traduction Jocelyn Benoist) p. 123. Cité par
Roger Chartier, Qu’est-ce qu’un livre ? in Les cahiers de la librairie, janvier 2009.
[4] Ibidem, p. 131
[5] Un roman, un poème, un manuel scolaire, un livre pour enfants, une bande dessinée, un essai, une pièce de
théâtre sont autant de « discours », au sens où l’emploie Kant.

[6] Autre exemple, tiré de la littérature : Le Petit Prince, de Saint-Exupéry.
[7] Les Pensées, Bouvard et Pécuchet, L’Homme sans Qualités, les écrits de Pessoa, …
[8] Exemple paradoxal d’un livre hors langage, sans titre et sans auteur : Le Code Voynich, publié en 2005 par
Jean-Claude Gawsewitch

[9] Echange de données informatisées
[10] Il n’en a pas toujours été ainsi. Le codex d’avant Gutenberg se présente souvent comme la compilation sans cohérence de plusieurs ouvrages de genres différents, sans rien qui les lie, que leur reliure. La relation d’unicité entre livre, oeuvre et auteur, qui nous paraît aller de soi, n’apparaît guère avant le 15è siècle (cf Roger Chartier, op. cit.)
[11] Le codex existait bien avant la découverte de l’imprimerie. Celle-ci a donc beaucoup moins affecté la nature et la substance mêmes de l’oeuvre que ne le fait aujourd’hui la numérisation.

[12] Cette échelle a donné lieu à une réflexion suivie au sein de la Société des Gens de Lettres.
[13] Exemple des livres accessibles à travers Google Book Search

[14] Cf www.l-autofictif.over-blog.com et L’autofictif, d’Eric Chevillard, chez L’Arbre Vengeur.
[15] Cf www.livresdesmorts.com (Le Livre des Morts, oeuvre poétique interactive de Xavier Malbreil présentée au Salon du livre 2008) ou encore http://futureofthebook.org.uk/blake/book.html (Songs of imagination and digitisation).

———————– LE DEBAT est lançé :

La réponse de François Bon sur son Tiers-Livre : Y a-t-il une frontière au livre numérique ?

A son tour, Constance Krebs sur son blog Amontour : Une définition du livre

Sur sa Feuille, Hubert Guillaud réagit également :  Qu’est-ce qu’un livre numérique et en avons-nous besoin ?

Composer, par René Audet, professeur au Département des littératures, Université Laval (Québec)

Voici un premier compte-rendu des Assises du Numérique  organisé par le SNE :  Les droits des auteurs à bras le corps ! [1/2] de Jeanlou Bourgeon (blog Entre nous soit dit). Voici le second billet : Jeremy Ettinghausen, digital publisher  [2/2] avec l’intervention de Virginie Clayssen « Inventer la révolution numérique ».

Soyons aussi complet, avec les explications toujours lumineuses de Lionel Maurel (Blog S.I.Lex) concernant le Règlement Google Book Acte II : le grand bal des chimères : à lire entièrement pour comprendre tous les enjeux. Voici, cependant la conclusion de ce billet :

« Et moi au fond, quelle est ma chimère ?

Depuis le début dans cette affaire, la question des exclusivités a toujours été ma principale préoccupation. Quelle que soit l’utilité de Google Book Search, je persiste à voir dans ces exclusivités un danger majeur que l’on ne peut tolérer. Or avec ce nouveau règlement, on parvient presque au stade où les exclusivités sont quasiment neutralisées. De mon point de vue, cet accord devient acceptable et il n’existe presque plus que des raisons idéologiques de s’y opposer. Des sujets d’inquiétude demeurent encore : la position des bibliothèques qui n’est pas encore assez garantie et les problèmes liés à la protection de la vie privée.

Pour le reste, je dois avouer que je n’ai jamais considéré que l’opt-out constitue à lui seul un motif de rejeter l’action de Google en matière de numérisation. Le fair use américain constitue à mes yeux une mesure bénéfique qui joue un très important facteur d’équilibre du régime de la propriété intelectuelle. C’est un système qui fait cruellement défaut en droit français et qui pénalise notre pays que ce soit en matière d’accès à l’information et à la connaissance ou en matière d’innovation technologique. Dès lors, je considère que Google Book Search satisfait aux conditions du fair use et devrait pouvoir en bénéficier, y compris, en France comme il est demandé au Tribunal de Grande Instance de juger.

Lors de l’audience de ce procès à laquelle j’ai pu assister, j’ai entendu les avocats des titulaires de droit français défendre une conception tellement dure et  idéologique des droits d’auteur qu’elle détruit littéralement les conditions de possibilité d’une bibliothèque numérique. L’avocate de la SGDL en particulier s’est appuyée sur une conception extrême du droit moral, estimant qu’un mauvais taux de reconnaissance des caractères constituait une atteinte à l’intégrité des oeuvres, y compris celles du domaine public, ou que l’ordre de classement des oeuvres par le moteur devait présenter une cohérence absolue sous peine d’enfreindre le doit moral. En l’état actuel des technologies, aucune bibliothèque numérique ne peut satisfaire de telles exigences. Il a également été reproché à Google de faire usage des titres des oeuvres ou d’indexer les contenus, ce qui constituent à mes yeux des pratiques documentaires essentielles pour l’accès à l’information. Comment rester solidaire d’une conception aussi “fixiste” du droit d’auteur ?

Google Book Search pose en réalité LA bonne question : celle de la nécessité d’une adaptation du droit d’auteur aux exigences de l’accès au savoir dans l’environnement numérique. Mais il apporte de mauvaises solutions, dans la mesure où existe un risque de dérive vers un monopole au profit d’une puissance privée. Ce risque est moindre avec le nouveau Règlement, mais il sera toujours présent si on consent à abandonner à Google l’effort de numérisation.

Je veux continuer à croire qu’une alternative européenne existe encore, qui conjuguerait l’initiative privée et l’initiative publique, dans un esprit de conciliation du droit d’auteur et des droits à la connaissance et à la culture.

C’est peut-être ma chimère, mais je la poursuivrai encore longtemps… » (Lionel Maurel )

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« Société où les enfants ont tous leur téléphone portable personnel… » in Cinquante ans dans la peau de Michael Jackson par Yann Moix (Grasset, 2009)

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Tirée du dernier roman de Yann Moix : cinquante ans dans la peau de Michael Jackson (Grasset, 2009), cette citation qui pose un certain nombre de questions :

« Société où les enfants ont tous leur téléphone portable personnel. Ont tous leur ordinateur portable personnel. Comme des petits hommes d’affaires. Société dans laquelle on donne le bacalauréat à tout le monde, parce qu’on est prié de devenir adulte tout de suite, allez, du balai, quittez-moi cette enfance qui n’a que trop duré ; devenez des hommes. Entrez, approchez, n’ayez pas peur : voici le monde adulte (cher bachelier). Adulte, adulte, adulte. Le plus vite possible. Le plus possible d’adultes le plus vite possible.

Mélange des enfants et des adultes : sur Internet, enfants, adultes sont totalement à égalité. Aucune différence, dans la virtualité, entre un enfant et un adulte. La différence (pas seulement d’âge, mais ontologique) entre un enfant et un adulte est abolie sur la Toile. On est tous pareils sur Facebook ; on a tous le même âge moyen : on est tous identiquement adultes ; il y a une contamination de l’enfant par l’adulte, dans le monde virtuel, qui culmine avec la séduction d’adolescents ou d’enfants par des pervers et des pédophiles. Sur Internet, il n’y a plus que deux sexes face à face. Deux genres seulement, deux catégories uniquement : les hommes et les femmes. Qui veulent se rencontrer ; qui se cherchent. Parfois se trouvent. Abolition pure et simple de toute forme de dissemblance. Douze ans, trente ans, même combat : les mots n’ont pas d’âge, pas de tête, pas de rides, tout est aplani – les adultes n’ont plus qu’à attirer (et pas seulement sexuellement), qu’à tirer à eux, les enfants dans leur monde ; on traite d’égal à égal. Ce n’est plus une toile, mais un Filet. Le monde entier a le même âge (adulte) ; le monde entier est collègue. Enfants et adultes deviennent complices. « 

Ce texte me met mal à l’aise par ses rapprochements  et parfois ses raccourcis… sans pour autant penser que l’auteur a entièrement tort. L’enfant égal de l’adulte sur Internet ? Oui, jusqu’à un certain point… Cette abolition de la dissemblance me paraît excessive…  La toile comme Filet ? Vision très restrictive…

Silence

De l’utilisation des outils Web 2.0 : tel un trader qui regarde défiler les chiffres sans cesse changeants…

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Petit état de l’art de mes usages des outils dits 2.0

De plus en plus, sans m’en rendre compte, j’ai utilisé mon profil Facebook comme on peut utiliser un blog : faire état régulièrement de mes flâneries sur le réseau. Gros avantage de Facebook : savoir que je m’adressais au minimum à « mes amis », mon réseau social constitué de personnes dont je connaissais le visage, et parfois, souvent, que j’avais rencontré dans la « vraie » vie ! Cela changeait des billets du blog qui devaient être lus – des statistiques l’attestant – des commentaires le démontrant… mais par qui ?

Anonyme blog et Facebook vivant… raison de son succès fulgurant ?

D’autres outils, je testais  : delicious,  machin + bidule, et twitter, évidemment et ses flux incessants… difficile à suivre, enfin, pour moi… difficile de concentrer mes tentatives de penser en 140 caractères, résumer en un message pertinent… Fils de discussion, morceaux de tchats… j’abandonnais, revenant de temps en temps sur twitter, pour voir, pour savoir quels étaient les sujets en discussion…

J’avais relié pourtant, j’ai toujours ce twitter relié avec mon compte Facebook et mon compte Friendfeed. Pour publier sur mon facebook au boulot bloqué par proxynator, je passais par twitter qui, sagement, allait parsemer mon profil.

Dans ce maëlstrom d’outils et de sites, j’en vins même à installer une plateforme de mutalisation de tout mes comptes et de tous ses outils, ne m’y retrouvant plus en définitive, tenant une liste infernale de mots de passe que j’oubliais implacablement. J’expérimentais alors Yoono… ce fût l’explosion… les informations du monde, les flux me parvenaient en permanence. Tel le trader qui regarde défiler les chiffres sans cesse changeants, les paroles de chacun arrivaient… Je n’arrivais plus à me concentrer sur ce que je faisais… parce qu’évidemment, les paroles qui émanaient de mes amis me distrayient, m’emmenaient vers d’autres pistes. Et petit à petit, les chemins enchevêtrés me firent perdre le nord.

Mince… Simplifions, me dis-je ?

Ah ce Facebook, tant décrié.  😉 😦     Facebook, pays des smyleys ; contrée des j’aime, j’aime plus. Bref, j’ai délaissé ce blog… infidèle. Pris par la facilité de recenser rapidement mes découvertes, je n’écrivais plus ici. Ai de nouveau envie d’écrire, de synthétiser toutes ces expériences hétéroclites.

Donc, voilà où j’en suis, aujourd’hui :

un Google reader, un agrégateur de flux RSS,  pour suivre l’actualité quotidiennement et faire une veille personnelle, même si ensuite, elle devient partagée (Chaque outil devenant dorénavant un réseau social) ;

un netvibes, d’abord privé puis public, pour une veille publique. Cette présentation sous forme de widgets que je trouve si pertinente pour présenter des fils d’Ariane de manière très graphique pour le grand public ;

un profil Facebook pour partager des découvertes au fil de l’eau, garder des contacts, prendre des nouvelles de ses amis, effectuer une veille publique avec et pour ses amis…

Un profil Facebook aussi pour mélanger des cercles d’amis disparates, mélanger les étiquettes qui finissent toujours par nous coller à la peau (geek, discothécaire, auteur de BD…) au lieu de voir la personne dans sa totalité ;

Un profil Facebook (même si il y a trois fois un profil facebook, je parle toujours du même 😀 et hop un smiley !) pour l’aspect « fan ». Quel fabuleux outil pour créer la page des amateurs d’un auteur… Travailler sur ces pages, comme si l’on créait une bibliographie exhaustive (réflexe ancestral du bibliothécaire – fichiers, listes – penser, classer, ordonner). Désirs de précisions…Otletiser ? Otletiser = vouloir, désirer, souhaiter ( 😉 !)… organiser tout le savoir du monde… ou du moins une partie…

Utilisation d’un blog pour causer des révolutions de notre profession et d’autres blogs pour parler de ses passions artitistiques, littéraires

Participer à des aventures collectives comme Wikipédia…ou Babelio

Lire des oeuvres contemporaines et d’emblée numériques sur publie.net

Et, besoin vital, dans ce dédale foisonnant et passionnant, de relire aussi, en plus des blogs, les classiques de notre profession pour imaginer un nouveau modèle de bibliothèque : hybride ou pas. Lire Eugène Morel, des histoires de bibliothèques, des cercles de la librairie, pour se confronter à ce qui se passe en ce moment, ici et maintenant…

Ecrire sous son nom propre ou avec un  pseudo… sans désir aucun d’égotisme… juste le souhait de partager, de dire, de demander : et vous, et vous, qu’est-ce que vous en pensez ?

Et vous, où en êtes vous avec ses outils dits 2.0 ? Vos veilles ? Vos désirs de bibliothèques ?

Bien à vous,

à suivre, donc…

Silence

J’adore ce genre de choses… regardez bien…

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Plus que 90 ans à attendre…

Silence