livre numérique

Où sont passés les Exemplaires ? Nouvelle flânerie dans le Web littéraire, celui de 2015.

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Jeudi 2 avril, j’ai été invité à intervenir pour la biennale EXEMPLAIRES : formes et pratiques de l’édition qui se tenait à l’Ecole supérieure des Beaux-arts de Lyon (ENSBA). Le colloque avait notamment pour objectif de mettre en lumière certaines expériences significatives dans le domaine du design éditorial contemporain. Plutôt que de mettre mon diaporama sur slideshare, voici le détail de mon intervention… Bonne lecture…

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« Les objets hérités de la culture de l’imprimé et du livre, avec leur support complexe et multiple, leur matérialité, sont aujourd’hui confrontés aux réalités des pratiques et des contraintes de l’environnement numérique. Si le livre comme objet résiste, la culture du livre et de l’imprimé est en crise en grande partie à cause des pratiques courantes et quasi naturelles dans l’environnement numérique.

La convergence entre la technique et l’héritage culturel nécessite une remise en question des valeurs attachées à des pratiques éditoriales et juridiques ancrées dans une tradition avec un poids économique important, une fonction symbolique puissante et un rôle politique majeur. Car les objets sont aussi associés à des institutions qui sont des lieux de production, de transmission et de préservation du savoir.

Et la fragilisation actuelle de ces objets implique une déstabilisation de ces espaces lettrés et savants, de même que leur soumission aux pressions suscitées par les modèles de la production du savoir inhérente à l’environnement numérique. »

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Indispensable lecture…

« Ainsi, la mutation induite par le numérique touche d’abord à la stabilité de cet espace dans toute sa diversité. Qu’il s’agisse de l’institution et de ses extensions (université, édition, revues scientifiques, etc.) ou des archives (bibliothèques), la culture numérique transforme les pratiques courantes et risque de modifier la nature même des objets de notre savoir comme de l’espace censé les accueillir et les faire circuler.

Cette dimension spatiale est essentielle, voire déterminante, car elle participe d’une manière remarquable à ce bouleversement général qui semble caractériser notre aventure numérique. »

Milad Douehi in Pour un humanisme numérique : http://www.publie.net/fr/ebook/9782814506411/pour-un-humanisme-numerique

En observant les nouvelles pratiques d’écriture de certains auteurs (pas tous) sur le web, on peut se demander légitiment où sont dorénavant passés les exemplaires qui constituaient traditionnellement la collection de la bibliothèque ?

Et comment, nous, les bibliothécaires, traditionnels passeurs de savoir nous allons recueillir ces nouveaux objets qui ont la forme d’un web livre pour reprendre la formule de François Bon ?

Comment nous allons les conserver… mais surtout les mettre à la disposition des lecteurs ?

Je vous invite donc à une nouvelle flânerie dans le web littéraire, celui de 2015.

(Voir ma précédente flânerie, rédigée pour le BBF et découvrir des auteurs d’aujourd’hui explorant le numérique pour renouveler  leur manière d’écrire – un netvibes que j’entretiens de temps en temps permet de vous donner les liens)

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Je ne parlerai ici… ni des livres homothétiques… ni des livres applications… ni des livres enrichis…

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Le Salon de L@ppli – Médiathèque André Malraux – Strasbourg

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« L’apprentissage, l’imaginaire, les chemins du savoir, la transmission des techniques, des rêves et des secrets, tout passait par le livre. Mais, depuis deux décennies (tout de même déjà une histoire), nous confions progressivement la totalité de nos usages, depuis les routines professionnelles jusqu’aux commodités les plus privées, à des appareils électroniques. Avec des risques lourds, quand ces appareils et leurs logiciels, et l’économie de ce qu’ils véhiculent, sont sous monopole de quelques groupes dont l’art et la civilisation sont moins la préoccupation que la bourse et la domination. » Nous voici donc confrontés à l’instable. Il concerne aussi bien les supports, chaque nouvel appareil condamnant le précédent, là où le livre – résultat d’une considérable histoire industrielle d’une ergonomie complexe – tolérait que chaque nouvelle strate acceptait les anciennes (mais dans un changement d’échelle qui les reléguait quand même à d’infinies distances : consultons-nous autrement que dans les expositions des grandes bibliothèques les vieux portulans ?), qu’il concerne les formes mêmes de l’écrit. La relation du texte à l’image, le rôle de la voix pour le conteur ou l’écrivain, le travail quotidien et l’attention au bruit du monde, rien de neuf sous le soleil. Seulement, la forme transmise s’appuyait sur ce qui en était le plus reproductible : le texte, donc, puis l’imprimé. »

in Après le livre / François Bon. – Paris : Seuil, 2011. – 275 p.

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Ce n’est pas que nous ayons tout à réapprendre : la réflexion sur la typographie, le lien à la part technique de l’écriture (on le croisera pour l’histoire infiniment complexe et passionnante de la tablette d’argile, mais aussi pour Rabelais ou Flaubert) ont toujours été présentes dans l’histoire immédiate de la littérature. Simplement, l’apparente stabilité du livre autorisait qu’elle reste à distance, qu’on la sache, mais en filigrane. Il n’y a jamais eu d’auteur ni d’écriture qui puisse se séparer de ses conditions matérielles d’énonciation ou reproductibilité, ni Shakespeare, ni Bossuet, ni Baudelaire ni Proust : mais lorsque la rupture technique englobe la totalité des aspects de l’écrit, à quoi se raccrocher pour disposer soi-même d’un point d’appui et continuer ? Paradoxalement peut-être, l’objet qui témoigne le plus en avant de cette mutation radicale, c’est le livre imprimé : assemblage de fichiers xml pour le contenu, de masques css pour l’apparence, de métadonnées pour sa distribution, il est déjà en lui-même une sorte de site web, dont la carapace numérique permet aussi bien d’être imprimé qu’archivé, révisé, porté sur des supports électroniques. »

in Après le livre / François Bon. – Paris : Seuil, 2011. – 275 p.

Pour François Bon, le livre c’est le WEB… dorénavant… et il le met en pratique avec son livre atelier en construction permanente : son Tiers livre. Et, il n’est pas le seul à penser ainsi…

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Si le livre c’est le web, et plus particulièrement le site web d’un écrivain, quelle va être la version que nous allons consulter ?

Quelle sera la version la plus fidèle pour entendre la pensée de l’écrivain ? Celle qu’il considérera comme ultime ? La moins sujette à remords ?

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Pour Après le livre : 9 éditions en 9 mois pour cet exemple… exemplaire… Beaucoup d’interventions sur le texte originel parce que le texte a été mis en premier lieu sur le site de l’auteur et que les lecteurs ont fait des commentaires, interagit donc… Mais, attention, si ces interactions avec les lecteurs peuvent être intéressantes, elles ne sont pas systématiques. Elles peuvent être pertinentes pour certains projets. L’auteur reste maitre de son texte, de sa parole et de sa voix. L’écriture numérique permet d’explorer de nouveaux rapports de diffusion et d’échanges et n’est pas un gadget « ludique » pour que ce soit plus « fun » !

Pour le bibliothécaire, quel exemplaire choisir pour mettre à disposition de ses lecteurs et en définitive, quelle version conserver ?

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La version imprimée des livres de Publie.net ? Publie.papier

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On pourra ensuite travailler la forme de l’impression. Peut-être que les bibliothèques, un jour, vont se mettre à acheter ces machines réservées jadis aux imprimeurs, machines de taille réduite qui permettent d’imprimer à la demande l’exemplaire d’un livre. Ce serait d’ailleurs une suite logique des opérations de numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques : offrir une version imprimée gratuite ou payante à ceux qui le souhaitent.

Et il faudra bien alors se mettre à travailler la forme du livre (embaucher de nouveaux professionnels ?). Il ne suffira pas simplement de numériser un livre, mais travailler l’objet livre à imprimer… et très certainement, avec l’un d’entre vous ou l’un de vos élèves – designers du livre.

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Sonia Landy Sheridan, ”Generative Systems”, 1973

D’ailleurs, dès 1970, l’artiste Sonia Landy Sheridan fonda le programme de systèmes génératifs, associant scientifiques, industrie, artistes et étudiants diplômés pour ainsi explorer les «implications des révolutions des technologies de communication dans l’art», ce dans une approche autant théorique que pratique. Elle travailla notamment avec 3M et Xerox sur ces nouvelles machines qui révolutionnent déjà le monde du livre.

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Le photographe Marcopoulos avec une Xeros s’est approprié ces machines pour éditer des photographies parues sur son blog en collaboration avec l’éditeur géant new-yorkais Rizzoli

Un livre numérique a t-il moins d’épaisseur qu’un livre numérique ?

Bien entendu, ma question peut être comprise de plusieurs manières…

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Des réservoirs de livres numériques ont commencé à se constituer… Je cite ici Gallica, le projet d’une bibliothèque publique, la BNF.

J’aurai aussi pu démarrer par celui du projet Gutenberg de Michael Hart, auteur du premier livre numérique, celui qu’il a mis en ligne le 4 juillet 1971 sur les quelques ordinateurs en réseau à son époque, du temps d’Arpanet.

Avant 1991, 1000 ordinateurs seulement étaient connectés en réseau. En 1991, Tim Berners-Lee et son équipe inventent Internet. Un an après, en 1992, 1 million d’ordinateur sont reliés et en 2016, on atteindra plus de 2 milliard d’appareils connectés (PC, smartphones, tablettes).

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Tim Berners-Lee / Gutenberg

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Les sources du savoir et de la connaissance, les objets livres, petit à petit, sont numérisés et se retrouvent accessibles en ligne. C’est une révolution majeure pour le mode d’accès et la transmission culturelle.

Je ne vais rentrer dans le détail mais je voudrai évoquer une des caractéristiques les plus importantes développée par Tim Berners-Lee, le lien hypertexte.

Parce que c’est cette invention, à mon avis, qui permet un renouvellement de la manière d’imaginer les livres de demain… la manière de les concevoir, de les lire et de transformer l’expérience de lecture des lecteurs…

D’ailleurs bien avant l’invention du web, des auteurs ont déjà pensé lien hypertexte et d’autres manières de raconter des histoires…

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Marelle est un roman de l’écrivain argentin Julio Cortázar publié en 1963.

Une note en début de livre annonce que Marelle, qui se compose de 155 chapitres, peut se lire de deux manières. Soit de manière linéaire, du chapitre 1 au chapitre 56, soit de manière non linéaire en partant du chapitre 73 et en suivant un ordre indiqué en début de livre.

Cortazar n’est pas le seul à avoir essayer de jouer avec la forme, le support et le contenu… Voir Borges ou Pérec et sa Vie mode d’emploi en 1978, construit sur le principe des grilles de mots croisés et qui reste difficile à reproduire, à composer car pour certaines pages, Pérec, a caché des acrostiches.

Marelle n’est pas un livre dont vous êtes le héros mais il expérimentait déjà la lecture aléatoire et permettait d’avoir une autre expérience de lecture.

Plus récemment, en 2000, La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski innove. En premier lieu, le format et la structure du livre ne sont pas conventionnels, sa mise en page et son style sont inhabituels.

Il contient par exemple de copieuses notes de bas de page, qui contiennent souvent elles-mêmes des annotations. Certaines sections du livre ne renferment que quelques lignes de texte, voire juste un mot ou deux répétés sur la page. Cette distribution des vides et des blancs, du texte et du hors-texte, peut susciter des sentiments ambivalents d’agoraphobie ou de claustrophobie mais reflète aussi certains événements intérieurs au récit.

Un autre trait distinctif du roman réside dans ses narrateurs multiples, qui interagissent les uns avec les autres de manière déroutante.

Enfin, le récit se dirige fréquemment dans des directions inattendues. Le livre vient d’être réédité mais son coût de fabrication reste élevé.

Le Web, dès lors, peut être pour les auteurs une alternative pour inventer de nouvelles formes.

Des auteurs contemporains jouent aujourd’hui avec les codes du Web d’autant que l’auteur qui écrit aujourd’hui sur le Web est confronté à d’autres problématiques : celles notamment de l’inattention de son lecteur et de cette « manie » courante de ne plus lire que par fragments… L’écriture par fragments se prête bien au Web.

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Pour lire… Pour écrire… Il faut souvent choisir un lieu… son lieu… …Un endroit pour être bien (corps/esprit)… un espace stimulant… Être seul ou dans une agora… Sur support imprimé ou numérique… La lecture numérique nous invite à poser la question de nos manières de lire

Anne Savelli travaille aussi la forme du livreImmuable un livre ?

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Marcello Vitali-Rosati est professeur adjoint de Littérature et culture numérique au département des littératures de langue française à l’Université de Montréal.

Plutôt que d’écrire un nouvel article théorique, en décembre 2012, il s’est décidé à raconter une histoire quotidiennement pendant un an en essayant de capter l’attention de ses lecteurs, en jouant sur la forme de courts fragments. Son site Navigations fonctionne ainsi  :

L’abondance des contenus nous fait souvent peur. Nous avons besoin d’une structure, d’un dispositif qui produise unité – sens. Les éléments éparpillés doivent trouver un tissu. Il faut des règles, les règles du jeu.

L’expérience d’écriture proposée ici s’impose un cadre.

D’abord, une limite de temps : un texte par jour posté à 21h UTC pendant un an – du 12-12-12 au 13-12-13. Épuiser ce temps est la première tâche de cette écriture.

Ensuite, des structures formelles : une longueur journalière du texte de 1000 caractères – dictée par le temps de lecture requis et par la possibilité de visualiser le texte dans un écran sans scroller.

Et encore, un lien fort entre les textes : un élément de continuité reliera l’écriture d’un jour avec celle du jour suivant. L’ordre sera donc chronologique.

Enfin, un dispositif technique : du code html greffé sur spip. À l’intérieur de ce cadre, aucune contrainte de contenu.

Le parcours qui se produira sera une navigation libre dans un périmètre défini.

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Un livre numérique a ensuite fixé le texte, paru aux éditions Publie.net, le conservant pour éviter le risque de disparation du site.

Le site d’Anne Savelli – Dans la Ville haute – a disparu car l’adresse du site n’a pas été renouvelée… une inattention de l’auteure cette fois… Il n’y a pas que les lecteurs qui sont inattentifs. Pardon Anne… 😉

N’empêche, le livre numérique fixe une forme mais ne permet pas toujours de retrouver l’expérience de lecture initiale comme celle où l’on découvrait chaque jour le texte de Marcello ou le parcours aléatoire que nous pouvions faire dans les images d’Anne Savelli.

Comme l’évoque ce récent colloque à Montréal, les frontières sont à renégocier en permanence entre livre et numérique. Faut-il d’ailleurs que le livre sur le web soit systématiquement imprimé ? Certains auteurs choisissent délibérément que leur web livre ne pourra être imprimé…

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LE NAURNE est un feuilleton de littérature numérique en 15 épisodes créé par deux auteurs : Léo Henry et luvan et la graphiste Laure Afchain.

Un vendredi par mois, nous découvrons l’histoire imaginée par les deux écrivains et mise en scène conjointement par la graphiste. L’idée initiale est, en effet, de jouer avec les codes du web – les ascenseurs, les transparences, les cadres… pour chaque épisode. Expérimenter en réel une nouvelle manière de raconter, non artificielle, qui sert l’histoire à raconter…

On est loin du livre homothétique et ici, la lecture est continue. Il n’y a pas de sons ni d’images (parfois des plans, des schémas).

Léo Henry dit que pour lui, un livre numérique c’est un livre qu’on ne peut pas imprimer sans en perdre une de ses dimensions… Pour l’instant, la plupart des auteurs et des éditeurs ne voient pas encore la potentialité de ce nouvel outil. Et il ne s’agit pas ici de créer une nouvelle forme du cédérom…

Je ne sais pas si nous arriverons dans le futur à proposer une offre de prêt de livres numériques en bibliothèque préservant la diversité des publications – petite édition notamment – mais il est certain que développer les résidences d’écriture numérique de cette manière est un axe pour soutenir la création littéraire et favoriser les échanges avec le public. Léo Henry et Luvan ont déjà proposé deux rendez-vous avec leurs lecteurs à la Médiathèque André Malraux… à suivre… le prochain épisode vendredi 10 avril 2015…

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Voici la forme de l’épisode 4. Je vous invite à découvrir les épisodes déjà parus sur lenaurne.fr.

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D’autres formes, d’autres jeux… Oulipo gare à toi…  Ici l’expérience de Mathilde Roux. Les auteurs jouent toujours avec la structure du texte et d’autant mieux s’ils connaissent les rudiments du code !

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Kiibook est née d’une rencontre entre un bibliothécaire (Alexandre Simonnet) et le travail de Jean luc Lamarque , un artiste numérique en 1997. Il venait d’inventer le pianographique (http://www.pianographique.net) qui était un instrument multimédia graphico-musical qui permet de mixer divers médias issus du web. C’est un peu l’ancêtre de wj’ing.

L’idée a été de développer un projet autour de la littérature numérique, de faire le lien avec la structure qui accueillait le projet (une bibliothèque où l’écrit classique à une grande importance) tout en travaillant sur la désectorisation entre les secteurs numériques et patrimoniaux.

Les objectifs étaient assez simples, il s’agissait de faire connaitre davantage le livre d’artiste au grand public et d’ouvrir le cercle restreint des amateurs du livre d’artiste à des développements numériques possibles afin qu’il y ait des échanges et des rencontres sur des modes de création plus populaires actuellement plébiscités par le public et eux aussi fondés sur les techniques du mix-média.

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L’expérience Kiibook proposée par la bibliothèque Carré d’art de Nîmes permet à qui le souhaite de créer des livres virtuels en PDF  grâce à plusieurs alphabets de lettres et de signes qu’il s’agit de combiner. Un blog associé permet de voir les contributions des participants.

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Je ne vais pas multiplier les exemples.

Vous avez compris, je pense, la richesse de contenus qui est train de naitre sur le Web. Et quel est dorénavant notre souci en bibliothèque pour suivre la production de certains auteurs, la difficulté pour faire connaître leurs textes – nous allons avoir besoin de nouveaux outils de mise en valeur pour les mettre en avant. Le problème de la conservation est encore plus vaste. A part de rares exceptions, une grande partie du Web des origines est irrémédiablement perdu…

Saluons toutefois, la naissance, depuis 2006, d’un dépôt légal du Web mis en place par la BNF. Et qui pourra être consulté dans certaines bibliothèques de villes françaises.

Pour conclure, un constat : vous avez eu raison de mettre un S à exemplaire pour votre colloque. Mais le concept d’exemplaire n’est sans doute déjà plus pertinent pour  rendre compte de la création littéraire en cours…

A suivre…

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Cut-up partiel et partial d’un médiateur numérique d’aujourd’hui (Texte lu au Congrès de l’ABF 2014)

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Ce texte a été écrit pour le Congrès des Bibliothécaires à Paris qui s’est tenu du 19 au 21 juin à Paris, pour la table-ronde Atouts et faiblesses de notre métier.
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 photoJe ne suis plus celle que j’étais, nous dit Anne Verneuil, dans son article inaugural au dossier de la revue Bibliothèques, la revue de notre communauté. Je ne suis plus celle que j’étais…moi non plus… Je ne suis plus celui que j’étais quand j’ai débuté dans ce métier, il y a un peu plus de vingt ans maintenant. Ou plutôt, je ne fais plus tout à fait le même métier. Je m’occupe de médiation numérique. C’est nouveau, et puis c’est vieux comme le monde.

Martine Farget, Directrice Générale Adjointe à Plaine Commune en Seine Saint-Denis martèle : Le numérique a modifié le « cœur de métier » des professionnels, il est omniprésent dans la relation avec l’usager. Il paraît impensable pour les élèves venant travailler en médiathèque de ne pas pouvoir apporter leur ordinateur ou entreprendre des recherches sur ceux qui sont mis à leur disposition au même titre que pour des documents papiers. Le numérique a modifié le cœur de métier de tous les professionnels, pas seulement le métier des bibliothécaires.

Nous devrions être heureux de la situation présente. Celle du bouleversement total de notre métier et de tout son environnement, de son écosystème. Mais nous ne le sommes pas, pas encore. Des nostalgies nous gagnent, parfois… Je suis un indécrottable optimiste. Et, nous devrions être heureux de voir le monde s’engager dans un monde qui nous est cher… le monde de l’écriture.

C’est cela, la chose importante pour moi : Le Web, c’est l’écriture.

Le Web, ce n’est pas seulement le caricatural Facebook. Le Web, ce n’est pas de la technophilie béate… Ce n’est pas Apple avec son Ipad qui a transformé le monde. Mais cette possibilité donnée à chacun – en principe – grâce aux réseaux  : cette potentialité de pouvoir écrire, de s’exprimer de mille manières possibles.

Le Web, c’est l’écriture. L’écriture partagée… immédiate parfois. Ce sont parfois bouteilles à la mer avec messages dedans… Ce n’est pas que du commerce ou une nouvelle manière de profiler les usagers… bien que ce soit cela aussi.

C’est Michel de Certeau dans son Invention du quotidien, en 1980, qui cite François Furet : La modernisation, la modernité, c’est l’écriture. Et de commenter :« la généralisation de l’écriture a en effet provoqué le remplacement de la coutume par la loi abstraite, la substitution de l’Etat aux autorités traditionnelles et la désagrégation du groupe au profit de l’individu. Or cette transformation s’est opérée sous la figure d’un métissage entre deux éléments distincts, l’écrit et l’oral.»Il avait eu une belle intuition Michel de Certeau… Cette omniprésence de l’individu…

Ce qu’il ne pouvait pas encore imaginer, c’était la naissance du Web, onze ans plus tard, en 1991. Et le formidable déplacement engagé depuis : ce mouvement des sources du savoir vers une dématérialisation en réservoirs gigantesques reliés entre eux, dématérialisation que nous avons plus subit que souhaitée ou anticipée. Dans notre littérature professionnelle, pourtant, nombreuses sont les occurrences concernant une bibliothèque universelle. Nous devrions être heureux de cette situation. L’utopie de Paul Otlet et de son Mudaneum semble se réaliser. Il y a bien sûr déjà des dangers pour que tous ces immenses réservoirs ne soient contrôlés que par quelques acteurs mondiaux… totalitaires.

Le Web, c’est l’écriture. Nous vivons une époque formidable et paradoxale, celle du grand mixage entre un oral que je qualifierai d’écrit – un oral écrit –à l’image de twitter ou de facebook… et de nouvelles formes de diffusion de l’écrit que sont les blogs, les ateliers d’écrivains sur le Web, les instagram, les snapchat, les you tube – des mots, des images, des sons – l’écrit et l’expression sont multiples aujourd’hui – la profusion des portes d’accès aux savoirs nous perturbe – nous sommes dans le labyrinthe borgésien, un peu perdu – le manque de repères nous désole – nous rêvons voyages mais nous n’avons pas encore envie d’explorer – enfin, pas tous, heureusement – il y a des crapauds fous comme dirait Lionel Dujol, il y a même de plus en plus de crapauds fous parmi nous –

Un médiateur numérique pour moi, ce n’est pas la nouvelle mue de l’animateur multimédia – ce n’est pas la même chose – Ce qui nous désoriente toujours, c’est la mutation des figures d’autorité et nous ressassons – ah, mais tous ces blogs, ces livres numériques, c’est de l’autoédition – hein, c’est de l’autoédition. – autoédition, le mot qui condamne – Non, les blogs ce ne sont pas de l’autoédition – les figures et formes de validation ont changé…

Et puis, il y a ces nouvelles interactions à base de like, de cœur, qui nous semblent tout transformer en un immense monde kitsch.. Ah, ils racontent leurs vies sur les réseaux sociaux… mais qu’ont-ils à raconter sur ces réseaux sociaux… réseaux sociaux où ils sont, les gens, parce que justement, dans la vraie vie comme on dit maintenant – ce qui est un peu idiot entre-nous, dans la vraie vie, ils ne trouvent pas, les gens, des liens ou des solidarités qui leur importent. Voudraient bien mais ne trouvent pas. Plus d’un milliard d’individus sur Facebook. Incroyable, non ? Comment des réseaux sociaux littéraires comme Librarything ou Babelio ont réussi – eux – à transformer leurs usagers en contributeurs, à leur parler des livres qu’ils aiment ? A créer un lieu qui n’est pas virtuel puisqu’il y a interactions partages, rencontres et échanges fructueux.

Tous ces éléments nous perturbent tant, que certains, ne supportant plus le baroque foisonnant et permanent, veulent se déconnecter. On n’a pas encore commencé d’explorer ces nouvelles terra incognitae que nous voulons déjà nous déconnecter. N’oublions pas certains, qui ne le sont pas encore… connectés.

« La libre expression, la libre circulation des idées sont l’une des missions fondamentales des bibliothèques. Les bibliothécaires doivent donc rester attentifs à la constitution des collections, à leur politique d’acquisition, défendant toujours le libre accès à l’information pluraliste, pour les publics les plus divers. »Ce n’est pas moi qui le dit, mais Anne Verneuil et Claudine Belayche, toutes deux, Présidente et ex-Présidente de l’ABF, dans leur éditorial à la revue Bibliothèques. L’information pluraliste qui se trouve justement sur le Web, nous nous devons de l’explorer pour en détecter les pépites, les valoriser pour participer à cette grande et ambitieuse fabrique du citoyen qui fait partie de nos missions.

Je vous le dis tout net – sans jeu de mots – la pire idée que nous pourrions avoir serait d’imaginer des bibliothèques et des bibliothécaires déconnectés. J’adore les définitions et notamment celle-ci, celle du mot qui caractérise notre dépression actuelle.

Ce mot, cest ladjectif : asynchrone.

L’asynchronisme désigne le caractère de ce qui ne se passe pas à la même vitesse, que ce soit dans le temps ou dans la vitesse proprement dite, par opposition à un phénomène synchrone. Notre problème avec le Web est que sur ce Web, tout se passe partout et tout le temps et que nous ne pouvons pas – bien évidemment – être partout. On n’est pas au cinéma ou dans un roman, mais dans la vraie vie : matérielle, pragmatique, tellement concrète…

Le temps de l’ubiquité est pourtant arrivé et nous sommes désarmés. Nous avions l’habitude de travailler en équipes, efficaces, spécialisées… mais cela c’était avant…

Nous allons devoir investir les communautés agissantes du Web – pas comme un poisson rémora avec son requin, pas comme un parasite en essayant d’exister malgré tout avec nos anciennes manières de faire ou de communiquer – mais en faisant partie des communautés agissantes du Web et en apportant notre pierre à la construction et aux partages des savoirs. Défendre ce que ce sont nos biens communs…

Notre légitimité comme experts en recherche et conseils en information reviendra. Nous adorons classer, inventorier, valoriser… Qu’est ce que le Web change à cela ? Rien… C’est notre nature profonde. Repérer, classer, inventorier, valoriser, conserver… Pourquoi soudain ne plus le faire pour le Web ? Est-ce que ce n’est que pour des raisons de moyens humains et matériels ?

Travailler avec les communautés agissantes est une nécessité car nous ne pouvons pas agrandir indéfiniment nos équipes – les budgets sont en baisse, les postes se font rares, les contractuels ne sont pas remplacés… vous connaissez… Qui, dans cette salle, en 2001, aurait parié 1 euro sur la réussite de l’encyclopédie Wikipédia ?

J’organise depuis un an des ateliers de contribution à l’encyclopédie Wikipédia. L’ambition de ces ateliers est de construire une petite communauté de fourmis venant apporter leur pierre à ce chantier encyclopédique mondial.

A chaque séance mensuelle, il y a toujours de nouvelles personnes, curieuses, qui sont soit intéressées pour écrire, participer soit en ont assez de contribuer seules devant leur écran chez eux. Veulent rencontrer les autres. Ça tombe bien, on est ravi d’accueillir les autres. Ce type d’atelier à structure participative et horizontale est particulièrement bien adapté : la bibliothèque a les ressources nécessaires pour sourcer les articles comme on dit chez Wikipédia et devient lieu où l’on se retrouve. C’est un Fablab textuel…

Une des dernières participantes, une professeure de lycée, me demandait vendredi dernier : mais pourquoi tous ces contributeurs n’écrivent-ils pas des livres ? Quelles sont leurs motivations ? Pourquoi font-ils cela gratuitement ? Elle ne comprenait pas… elle était curieuse et un peu perplexe mais souhaitait tout de même organiser avec ces élèves une découverte de Wikipédia.

Eh oui, pourquoi, cette envie de participer, de faire sans en attendre de gratification… Il y a quelque chose qui ne tourne plus rond… On a un pseudo en général sur Wikipédia, on reste anonyme. Personne ne connait les 1350 contributeurs de l’article Strasbourg, article qualifié de qualité et qui est vu en moyenne chaque jour 1000 fois… 1000 fois…

Mince, tout ne serait pas que Selfie, alors sur ce Web…

C’est en analysant et en réfléchissant à ces nouvelles pratiques, ces nouveaux usages que nous arriverons à repositionner nos actions et nos indispensables médiathèques comme lieu d’échanges, de rencontres et de partages au sein de ce flux incessant du savoir. De ne plus rester au bord du fleuve à regarder l’eau couler.

Je ne suis plus [celui] que j’étais. Voici venu le temps des « bibliothécaires « reprofilés » – quelle horrible formule technocratique, vous ne trouvez pas ? – expression lue de nouveau dans la revue de notre communauté… Et, Anne Verneuil de nous interroger : Cela fait quelques temps déjà que nous assistons à un brassage de métiers dans notre métier. Voici venu les community managers, les web designers, les animateurs, les médiateurs, les producteurs de contenus… Quelle définition de leur travail ? Quelle intégration au sein des équipes ? Quels savoirs apportés, partagés, multipliés ? Moi : Va-t-on encore continuer de créer de nouveaux départements dans les médiathèques – moi je ne veux pas de département médiation numérique – je veux que mon poste s’arrête dans quelques années quand la mission – je l’espère – aura été remplie. La facette numérique doit faire dorénavant partie de tous les profils de poste, à des degrés divers, bien entendu.

A l’heure des Moocs – ces cours en ligne – ou des Fablabs – ces ateliers participatifs – comment allons-nous apprendre dorénavant ? A l’heure du web participatif, ce web que l’on apprend en faisant, comment allons-nous nous former pour transmettre ? Avons-nous perdu notre capacité de transmettre ? On voit bien la difficulté pour nos organismes de formation continue de renouveler leurs propositions. Ce monde va trop vite. Un outil apparaît, vit et le lendemain, ou presque, est déjà remplacé par un autre. On apprend désormais en partageant des savoirs ou des pratiques. On essaie un outil. On devient un bêta-testeur. Cela ne fonctionne pas avec le public que nous visions. Tant pis, on utilise un autre outil. On remettra donc vingt fois sur le métier son ouvrage. La formule de Boileau est bien adaptée dans notre cas…

Dans ce monde de vitesse, il nous faut nous hâter lentement, comme l’écrit encore Boileau dans son Art poétique. Un exemple : des collègues voulaient créer un blog autour des littératures ados. Comment avons-nous procéder ? Ce n’est pas l’informaticien de service qui l’a créé ce blog et puis l’a alimenté des articles envoyés par les bibliothécaires. Les bibliothécaires, jeunesse dans notre exemple, nous les avons réuni avec une collègue compétente et nous avons appris à utiliser et écrire ensemble un billet sur la plateforme de blog choisie. Chacun est devenu un contributeur, maîtrisant l’écriture et la mise en ligne. Ainsi pour chaque projet, la méthode est de trouver la personne qui connait l’outil et qui partagera son savoir aux collègues ce qu’il sait… C’est une manière de transmettre collaborative qui permet de démystifier la technique. Petit à petit, l’ambition est de redonner de la confiance aux bibliothécaires qui utilisent les outils du Web. Non, il n’y a pas besoin de connaître le fameux code pour écrire sur un blog. Non, vous ne casserez pas la machine, ou le blog.

Il nous faut refonder la formation pour nous adapter à ce nouveau monde. C’est un retour vers la forme de l’apprentissage des métiers artisanaux d’avant. Cela demande également de réfléchir autrement aux temps de travail – temps de service public, temps de travail interne, temps de formation… Maintenant, apparition de temps d’apprentissage partagé entre professionnels et usagers, dans les fablabs, par exemple. Les frontières se pointillissent… Pardonnez-moi ce néologisme !

Cela implique aussi d’avoir des outils appropriés comme des ordinateurs non bridés par des systèmes de sécurité trop restrictifs pour réaliser cet enjeu de formation capital. Il nous faut acquérir la majorité informatique. Ce n’est pas encore gagné.

Surtout, avant d’avoir l’ambition d’animer une communauté agissante sur le web, comme je lis souvent, il nous faut tester les outils et les usages, les connaître en les utilisant, les triturant assez pour en avoir une réelle appropriation critique. C’est ce qui manque encore. On ne teste pas assez. On n’est pas encore dans cette culture du test qui est pourtant comme une marque de fabrique du Web.

Je vais m’arrêter là. Je ne suis plus [celui] que j’étais depuis que j’ai commencé à travailler en bibliothèque. Ce n’est pas uniquement le métier qui a changé mais le monde et sa manière de transmettre les connaissances, depuis la montée en puissance des réseaux informatiques, depuis 1991. Je ne sais pas plus que vous où nous allons. Mais nous y allons. Je ne suis pas inquiet concernant l’avenir des bibliothèques à la condition d’ouvrir nos yeux et nos oreilles pour écouter nos publics et de ne pas rester au bord du fleuve.

C’est ce que rappelait Jean Gattegno, en 1989, dans son discours aux bibliothécaires : Je crois que c’est par cette écoute des usagers que vont mourir ou grandir les bibliothèques. C’est une phrase ambigüe. Comment la comprendre ? Je fais le pari qu’elles vont grandir, les bibliothèques. Je suis un indécrottable optimiste. On vit un changement majeur : celui où paradoxalement les écrits semblent s’envoler et nos paroles… rester… mais c’est une autre histoire. Apprenons à résister positivement !

Merci

FQ

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Ce texte est une sorte de cut-up, cher à William Burrough, et j’ai puisé dans la revue bibliothèques pour commenter certaines phrases ou remarques de nos collègues. Merci à eux.

Du concret :

Allez jeter un œil à cette formidable revue : MCD : magazine des cultures digitales qui vous apportera un éclairage enrichissant sur les communautés agissantes du Web. Surtout ne nous regardons pas trop le nombril, regardons autour de nous : les autres expérimentations qui ont lieu sur notre petite planète.

Le médiathème Jeux Vidéo est paru : écrit par des praticiens… une mine de réflexions… à ne pas manquer…

Enfin, pour que nous trouvions du livre numérique en bibliothèque un jour…  n’oubliez pas d’aller signer la pétition d’Eblida qui sera remise aux instances de la Commission Européenne à la rentrée…

Hommage à Michael Hart, le père du projet Gutenberg par Hervé Le Crosnier

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Le projet Gutenberg est orphelin : décès de Michael Hart

Michael Hart est décédé le 6 septembre, à l’âge de 64 ans. Il restera dans l’histoire de la culture numérique comme le fondateur du « projet Gutenberg », un projet coopératif majeur datant des débuts de l’internet et ayant réussi à créer un gigantesque fonds de livres numérisés offerts en partage.

Il y a quarante ans, en juillet 1971, le jeune Michael Hart reçoit son sésame pour utiliser, en temps partagé, l’ordinateur Xerox de l’Université d’Illinois à Urbana-Champain. Peu versé sur le calcul, il se demande ce qu’il pourrait bien faire d’utile à la société à partir d’un tel outil, limité, n’utilisant qu’un jeu de caractères en capitales, et très lent en regard des ordinateurs d’aujourd’hui. Il utilisera son temps pour recopier la « Déclaration d’Indépendance » des États-Unis, en songeant aux idées de bibliothèques universelles lancées par les « pères fondateurs » de l’informatique, notamment Vannevar Bush, Joseph Licklider ou Ted Nelson. Le fichier pesait seulement 5 kilo-octets, mais il du renoncer à sa première idée d’envoyer le texte à la centaine d’usagers ayant une adresse sur Arpanet, car cela aurait bloqué tout le réseau. Il le mit donc en dépôt sur un serveur pour un libre téléchargement (sans lien hypertexte, une notion qui n’existait pas il y a quarante ans). Même s’ils ne furent que six à profiter de l’offre, on considère que le premier « livre électronique » du réseau informatique avait vu le jour. Ce fut d’ailleurs le livre numérique le plus cher de l’histoire, Michael Hart ayant un jour calculé une valeur approximative de son accès à l’ordinateur et l’évaluant à 1 million de dollars.

Michael Hart a continué sur sa lancée pour rendre disponible la plus grande quantité de livres possible. Même si les premiers textes étaient difficilement lisibles, sans typographie, en lettres capitales, sans mise en page,… il n’a jamais dévié de sa volonté de rendre les œuvres disponibles à tous. Pour cela, il s’appuyait sur une caractéristique essentielle du document numérique : la reproduction et la diffusion via le réseau ne coûte presque rien, et même de moins en moins quand les machines et les tuyaux deviennent plus performants. Comme il l’écrivait encore en juillet dernier, « à part l’air que nous respirons, les livres numériques sont la seule chose dont nous pouvons disposer à volonté ». Et il anticipait sur les usages à venir au delà de la lecture, comme l’analyse du texte, la comparaison de mots, la recherche par le contenu, l’établissement de correspondances ou les études linguistiques ou stylistiques assistées par l’ordinateur.

Longtemps son credo fut celui du « plain vanilla ascii », c’est à dire de refuser toute mise en page afin que les textes soient accessibles à toutes les machines, par tous les utilisateurs. Ceci conduisait les volontaires du projet Gutenberg à un codage particulier des accents, placés à côté de la lettre concernée. Mais sa méfiance devant HTML a disparu quand le web est devenu le principal outil de diffusion des écrits numériques : l’universalité passait dorénavant par le balisage, et l’utilisation de UTF-8, la norme de caractères qui permet d’écrire dans la plus grande partie des langues du monde.

Comme son projet, disons même sa vision, était généreuse et mobilisatrice ; comme il possédait un grand sens de la conviction et de l’organisation et proposait un discours radical, il a su regrouper des millions de volontaires pour l’accompagner dans sa tentative de numériser le savoir des livres. Des volontaires qui ont commencé par dactylographier les textes, puis utiliser scanner et reconnaissance de caractères, mais toujours incités à une relecture minutieuse. On est souvent de nos jours  ébahi devant les projets industriels de numérisation. Nous devrions plutôt réfléchir à la capacité offerte par la mobilisation coordonnée de millions de volontaires. Construire des communs ouverts au partage pour tous répond aux désirs de nombreuses personnes, qui peuvent participer, chacune à leur niveau, à la construction d’un ensemble qui les dépasse. Dans le magazine Searcher en 2002, Michael Hart considérait cette situation comme un véritable changement de paradigme : « il est dorénavant possible à une personne isolée dans son appartement de rendre disponible son livre favori à des millions d’autres. C’était tout simplement inimaginable auparavant ».

La volonté de Michael Hart lui a permis de poursuivre son grand œuvre tout au long de sa vie. S’il fallut attendre 1994 pour que le centième texte soit disponible (les Œuvres complètes de Shakespeare), trois ans plus tard la Divine Comédie de Dante fut le millième. Le projet Gutenberg, avec ses 37000 livres en 60 langues, est aujourd’hui une des sources principales de livres numériques gratuits diffusés sous les formats actuels (epub, mobi,…) pour les liseuses, les tablettes, les ordiphones, et bien évidemment le web. Les textes rassemblés et relus sont mis à disposition librement pour tout usage. La gratuité n’est alors qu’un des aspects de l’accès aux livres du projet Gutenberg : ils peuvent aussi être transmis, ré-édités, reformatés pour de nouveaux outils, utilisés dans l’enseignement ou en activités diverses… Le « domaine public » prend alors tout son sens : il ne s’agit pas de simplement garantir « l’accès », mais plus largement la ré-utilisation. Ce qui est aussi la meilleure façon de protéger l’accès « gratuit » : parmi les ré-utilisations, même si certaines sont commerciales parce qu’elles apportent une valeur ajoutée supplémentaire, il y en aura toujours au moins une qui visera à la simple diffusion. Une leçon à méditer pour toutes les institutions qui sont aujourd’hui en charge de rendre disponible auprès du public les œuvres du domaine public. La numérisation ne doit pas ajouter des barrières supplémentaires sur le texte pour tous les usages, y compris commerciaux… qui souvent offrent une meilleur « réhabilitation » d’œuvres classiques ou oubliées. Au moment où la British Library vient de signer un accord avec Google limitant certains usages des fichiers ainsi obtenus, où la Bibliothèque nationale de France ajoute une mention de « propriété » sur les œuvres numérisées à partir du domaine public et diffusées par Gallica… un tel rappel, qui fut la ligne de conduite permanente de Michael Hart, reste d’actualité.

Le caractère bien trempé de Michael Hart, sa puissance de travail et sa capacité à mobiliser des volontaires autour de lui restera dans notre souvenir. Les journaux qui ont annoncé son décès parlent à juste titre de « créateur du premier livre électronique ». C’est cependant réducteur. Il est surtout celui qui a remis le livre au cœur du modèle de partage du réseau internet. C’est la pleine conscience qu’il fallait protéger le domaine public de la création des nouvelles enclosures par la technique ou par les contrats commerciaux qui a animé la création du Projet Gutenberg. Michael Hart n’a cessé de défendre une vision du livre comme organisateur des échanges de savoirs et des émotions entre des individus, mobilisant pour cela des volontaires, le réseau de tout ceux qui aiment lire ou faire partager la lecture.

Caen, le 10 septembre 2011
Hervé Le Crosnier

Texte diffusé sous licence Creative commons

« Le bibliothécaire est un peu le forestier du livre » Alain Pierrot et Jean Sarzana, 2010

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« D’ordinaire, en regardant bien le circuit du livre, on peut apercevoir le bibliothécaire au fond du corridor. Il est presque toujours cité le dernier, on sait qu’il est incontournable, mais comme il ne participe pas du marché – c’est un agent public, il conserve et il prête, il achète si peu – il n’est jamais au coeur des discussions d’actualité sur la marche du monde. Pourtant, il occupe une place à part dans la saga du livre – il est né avec lui, bien avant le codex, bien avant l’édition – et il a puisamment marqué son histoire. S’il ne vit pas au rythme incertain du marché, il accompagne la vie du livre sur la longue durée et sait prendre la mesure du fonds et de sa densité. A côté de sa mission patrimoniale de conservation, sa fonction le requiert d’assurer l’observation permanente et suivie des ouvrages. Le bibliothécaire est un peu le forestier du livre, il vit et raisonne à long terme et dans les deux sens, il se voit comme le dernier rempart. On a le sentiment qu’une muraille de Chine sépare éditeurs et bibliothécaires. Ils gagneraient à la changer pour un paravent japonais. » (page 26)

Comment ne pas être fasciné à la pensée d’être contemporain d’une de ces très rares mutations essentielles de l’écrit, aussi violente et profonde que celle du passage du rouleau au codex, avec son lot d’imprédictible ? écrit François Bon dans sa présentation du livre  Impressions numériques d’Alain Pierrot et Jean Sarzana, publié sur la coopérative d’auteurs : Publie.net. Allez, soyons un peu polémiques : on est fatigué de ces discours à la gloire seulement de l’argent et de l’industrie. C’est de civilisation qu’il s’agit. Et d’un paradoxe qui rend l’affaire complexe : il y a beau temps que le livre traditionnel est déjà affaire numérique, de bout en bout. Et dans le bouleversement actuel, les lignes de force et de partage rejouent des conflits culturels qui n’ont rien à voir avec la seule question du numérique.

Un livre magistral et indispensable à lire aujourd’hui (à télécharger pour 5,99 € sur publie.net ou sur epagine.fr) pour sortir des débats un peu stérile sur le support ou la numérisation du livre à l’identique tellement rassurante pour les personnes de l’ancien monde … Ceux qui veulent mettre des péages  et des applis de smartphones partout pour mieux contrôler le flux de paroles et d’actes, nés sur cette utopie dérangeante qu’est le web.

Les deux auteurs définissent et synthétisent les concepts et les problématiques, expliquent lucidement le rôle de catalyseur de Google et donnent beaucoup de pistes afin d’éclaircir l’horizon de la mutation en cours qui nécessitera la participation de tous les acteurs du livre. Craignant que « la bibliothèque ou la médiathèque perde son caractère lieu de vie qu’elle avait souvent réussi à créer », ils proposent :  » cet écueil peut être évité si les bibliothèques acceptent de jouer le rôle de pédagogue des nouvelles formes de lecture. » (p. 53)

Les premières expériences de prêt de livres numériques (chronodégradables sur plateforme reliée au site de la bibliothèque ou sélectionnés sur des liseuses empruntables) sont déjà en route dans quelques bibliothèques françaises. C’est un signe positif. Ouvrons les yeux et…

Propulsons…

Ajout du 1er novembre : le billet Bibliothéquer de Lambert Savigneux…qui écrit :

« Le livre et le bibliothécaire, il faudrait qu’il soit un pulsar à la marge du monde contemporain en son milieu et de tous cotés, qu’il propulse et ne soit pas juste un filtre au travers duquel le monde et ses livres passe, il y a tant de livres qui sont des bribes, des condensés de vie et qui dorment et parfois ne poussent pas leur premier cri, alors de passeur le bibliothécaire serait aussi observateur et son désir permettrait à des livres d’exister, pas uniquement les gros arbres de la forêt ni les mauvaises herbes mais les bosquets et les plantes fragiles des recoins et des clairières ; certains livres sont errants et d’autres poussent en rond, cachés ou protégés ils trouvent d’autres façons d’exister (festivals, circuits parallèles, internet etc,)mais la forêt est traversée de multiples flux, au détours on se trouve nez à nez avec des biches, un ours dort (hibernerait mais peut être repose) sous un amas de livres “morts” ou une congère inutile, leurre qui serait l’habitat de l’ours, des ruisseaux la traverse, des glaneurs-chasseurs, des amoureux la pénètrent interagissent, agissent le fou tout comme le forestier, » (la suite sur son blog)

Et la fin de son billet me ravit :

« Les livres pourraient être comme les fils d’un grand tapis qui relieraient les endroits de laine, les rêves d’écorce et les pensées végétales, les trous du ciel et les mottes de terre sur lesquels l’humain circule et glane- je dis qu’il faut mettre en doute le monde – la bibliothèque doit être ce lieu – et les enfants y viennent pour cette raison même et son contraire – car la curiosité pousse à connaitre, imaginer aussi bien le dedans que le dehors ; cet endroit ou des forces vives de création se manifestent – il faut pousser des ses bras ces reliures qui cachent les ouragans, l’esprit souffle n’importe où et l’homme sait qu’il doit rassembler ce que lui peut assembler – le bibliothécaire – nom de mammouth de Lascaux – n’est plus uniquement être de conservation mais d’agitation … « 

Bonne lecture,

Silence (et Lam)

En son temps, Alain Pierrot avait eu la gentillesse de me confier  les prémisses de ce texte sur La mémoire de Silence. Pour mémoire… et clin d’oeil amical.

« Numériser, pour quels services aux publics ? » : une journée ABF PACA au coeur de l’actualité (Google books) le lundi 19 Octobre à la Médiathèque de Martigues

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L’Association des Bibliothécaires de France PACA (ABF PACA) et la Médiathèque de la Ville de Martigues s’associent pour une journée d’étude autour de la numérisation.

Journée au coeur d’une actualité brulante avec l’attente des conclusions du tribunal de New York  (le 7 Octobre) et les récentes déclarations du responsable des collections de la BNF, cet été, avouant que la BNF réfléchissait à un éventuel accord avec Google.

L’interassociation Archives Bibliothèques Documentation (IABD) a réagi à cette annonce en publiant un communiqué de presse « Non au Réglement google books en France » le 7 septembre et une délégation des différentes associations devraient rencontrer les autorités compétentes. Dominique Lahary, le responsable très dynamique de l’IABD qui sera présent ce 19 Octobre ne manquera pas de nous tenir au courant de cette actualité.

Quid de Europeana (la réponse européenne initiée par Jean-Noël Jeanneney, à lépoque responsable de la BNF) si un accord Google est signé ? Quels sont les risques de confier « Toute la mémoire du monde » à une entreprise privée ? Eternel débat autour des notions de droit d’auteur, de domaine public et de société de la connaissance, dans un monde en pleine mutation. Telles sont les questions qui ne manqueront pas de surgir…

Voici le programme de cette belle journée (on espère !)  :

Cette journée sera filmée et podcastée ensuite…

Franck Queyraud – Secrétaire régional  ABF PACA

« Numériser, pour quels services aux publics ? »
Médiathèque de Martigues––Quai des Anglais – 13620 Martigues Cedex – Tél. : 04 42 80 27 97

9h15 Accueil et ouverture de la journée par Florian Salazar Martin, adjoint à la culture de la ville de Martigues, Catherine Perrin, Directrice de la Médiathèque L.Aragon et Gilles Eboli, Président du groupe ABF PACA

9h45 Table-ronde : « Qu’est-ce qu’un livre aujourd’hui ? », animée par Thierry Guichard, rédacteur en chef du « Matricule des Anges », présentation et point de vue de chaque intervenant : Pierre Ménard, site publie.net ; Aline Girard de la BNF-Gallica, Raymond Tamisier de la librairie l’Alinéa à Martigues et Stéphane Michalon de Titelive epagine.

11h30 Questions et débat

12h-13h30 Déjeuner libre

14h Patrick Bazin, Directeur de la bibliothèque municipale de Lyon présente
L’expérience innovante de services au public à Lyon et le chantier de numérisation avec Google

15h « Quels enjeux pour les services aux publics de demain en bibliothèque : numériser pour qui pour quoi ? » par Dominique Lahary, Directeur de la bibliothèque départementale du Val d’Oise

16h Questions et débat

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Journée ABF « Numériser pour quels services aux publics ? »
– Coupon à renvoyer avant le 16 octobre 2009 à la Médiathèque de Saint-Raphaël
A l’attention de Franck Queyraud
Place Gabriel Péri – 83700 Saint-Raphaël – Tél. : 04 98 11 89 22 Fax : 04 98 11 89 72
Ou par courriel à : franckqueyraud@gmail.com

L’inscription est gratuite
Nom /Prénom : …………………………………………………………………………
 Adhérent ABF n°  Non adhérent
Etablissement :

logo ABF new

Groupe régional Provence-Alpes-Côte-d’Azur
L’Alcazar
23 rue de la Providence
Place René Sarvil
13231 Marseille cedex 1

Journée organisée en partenariat avec la Ville de Martigues

L’avenir du livre : le livre numérique ?

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En janvier 2009, à la Médiathèque de Saint-Raphaël, nous recevions dans le cadre d’une journée d’étude de l’ABF PACA, quatre praticiens – innovateurs – rêveurs – du livre de l’avenir : le livre numérique. Il fut question d’ ebooks, de livrels ou encore de liseuses. Nous avons tout filmé. Et monté…

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Photo de François Bon – Saint-Raphaël à l’aube du 22 janvier 2009

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Cette journée d’étude, intitulée LE LIVRE NUMERIQUE : quelles offres et quels usages ? a été podcastée entièrement. Retrouvez ou découvrez les interventions de François Bon, Annie Brigant, Isabelle Antonutti et Daniel Bourrion en cliquant directement sur le lien ici onglet Conférences.

Daniel Bourrion, en charge d’imaginer le futur à la BU d’Angers, a aussi commenté la journée sur son blog De tout sur rien.

Et François Bon a réalisé une chronique images de son arrivée et de sa journée à Saint-Raphaël : « issue de secours plein sud« 

Enfin, et c’est arrivé aujourd’hui, au forum des bibliothèques 2.0 de Montréal, une passionnante conférence donnée par Hubert Guillaud à Montréal, élargit les pistes ouvertes lors de notre journée d’étude : Qu’est ce qu’un livre à l’heure du numérique ?

et conclut sur une question qui nous interpelle, nous, les bibliothécaires :

«  Il faut s’interroger constamment sur le métier qu’on fait et comment la modernité le renouvelle. J’enrage quand j’entends des amis bibliothécaires me dirent qu’ils ont passé une demi-journée à faire du catalogage, à faire les mêmes fiches que les bibliothèques voisines. Combien de temps perdu à faire et refaire les mêmes fiches partout, chacun croyant que la subtilité de son commentaire ou de sa description en quelques lignes du contenu sera différente de l’autre. Alors qu’on peut décrire les contenus de multiples manières aujourd’hui. Il y a tant à faire pour que le web documentaire ne passe pas à la trappe, ne passe pas après le web social. Certes, la sociabilité en ligne est primordiale, mais la culture l’est plus encore. Pouvoir accéder de manière inédite aux profondeurs de notre culture, me semble un objectif qui mérite l’attention et les efforts communs de ceux qui la détiennent, la préservent et la font vivre. « 

Bonnes découvertes

Silence