Mois: janvier 2010
Fermons les bibliothèques !
Oui, FERMONS LES BIBLIOTHEQUES pour éveiller le désir des lecteurs... Ce n’est pas moi qui le dit… mais Amos Oz, dans le Grand Entretien qu’il donne à Alexis Lacroix dans Le Magazine Littéraire de février 2010 :
« Quand j’étais professeur dans un lycée, j’essayais d’éveiller l’appétit pour la littérature chez mes élèves. Je leur expliquais que lire était comparable à un processus érotique. Quand on prend un livre que l’on n’a jamais lu, on déchiffre le titre, on regarde la couverture, on l’ouvre, on le parcourt, parfois on le sent, on le renifle, et puis on commence. Et là, c’est une affaire d’alchimie personnelle entre le lecteur et l’écrivain. Dès la première page, ça prend ou ça ne prend pas. Tout commence par cette aventure charnelle. Peut-être la lune de miel entre les lecteurs et le livre appartient-elle à une époque révolue Si cela devait être le cas, il subsisterait toujours une minorité passionnée. Et si un jour on fermait toutes les bibliothèques, il y aurait des lecteurs en manque qui s’y introduirait par effraction ! «
Chiche !
Silence
Créer des livres d’artistes ou l’expérience Kiibook du Carré d’Art Bibliothèques de Nîmes : rencontre avec Alexandre Simonet
Je ne sais plus comment au gré de mes flâneries sur le net, j’ai découvert ces drôles de petits livres virtuels que l’on appelle dorénavant des kiibook. Cela m’a tout de suite séduit.
L’expérience Kiibook proposée par la bibliothèque Carré d’art de Nîmes permet à qui le souhaite de créer des livres virtuels en PDF grâce à plusieurs alphabets de lettres et de signes qu’il s’agit de combiner. Un blog associé permet de voir les contributions des participants.
Mais, laissons, le responsable du projet nous dire qui il est, comment est né ce projet et comment il évoluera…
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Qui êtes vous Alexandre Simonet et quel est votre rôle au sein de Carré d’art Bibliothèque de Nîmes ?
Alexandre Simonet : j’ai intégré Carré d’art Bibliothèques en 2003 comme responsable de l’Espace Culture Multimédia après avoir été responsable durant 5 ans de l’ECM du Florida à Agen, un des tous premiers espace public de création numérique dédiés aux musiques amplifiées (spécial remerciement à Philippe Berthelot) ouvert fin 96/début 97.
J’ai ainsi accompagné et suivi l’émergence des cultures des arts numériques notamment celles issues des réseaux Internet et consorts, mouvement que j’ai poursuivi à la bibliothèque de Carré d’Art en accueillant de nombreux artistes, acteurs et publics intéressés par les usages socioculturels et éducatifs du numérique.
En 2007 il a été décidé d’intégrer un volet numérique dans le projet global d’établissement de Carré d’Art Bibliothèques. L’ensemble des secteurs de la bibliothèque et de ses services (jusqu’aux murs même !) est désormais concerné par le développement solidaire du numérique.
En 2008 j’occupe la fonction de chef de projet et d’autre part, j ‘interviens auprés de l’équipe de direction et du personnel en soutien dans les domaines de la prospective, de la médiation et du développement multimédia en rapport avec les arts et les cultures numériques.
Pour être complet sur le sujet j’ai été élu, il y a peu à la présidence de l’association Kawenga un des tous premier lieu de création numérique sur Montpellier et la région Languedoc Roussillon destiné notamment à fédérer les acteurs culturels du numérique en région.
Kiibook est finalement l’histoire d’une transition.
Comment est né le projet Kiibook, pourquoi ce projet et ce qu’il est… en premier lieu ?
Kiibook est d’abord le fruit d’une rencontre et d’une longue maturation indirecte au projet. J’ai découvert le travail de Jean luc Lamarque en 1997.
Il venait d’inventer le pianographique (http://www.pianographique.net), et à l’époque je n’avais pu trouver les opportunités pour travailler avec lui. Pianographique est un instrument multimédia graphico-musical qui permet de mixer divers médias issus du web. C’est un peu l’ancêtre de wj’ing.
Ce n’est qu’en 2005 que que nous nous sommes rencontrés autour d’un atelier de création numérique (auprès d’artistes locaux) avec pour objectif de réaliser un abécédaire multimédia. Cela faisait un moment que Jean Luc se rapprochait de l’univers des mots (paroles), et du texte.
C’est après l’excellentissime bouche à bouche, et la création du projet de chorale interactive sur le mode de la beatbox ( http://www.pianographique.net/bab) construite autour d’un sonnet écrit au XVII ième siècle (sur le thème de la bouche) que je me suis dit : c’est peut être le moment de lui faire une proposition.
C’était un soir après l’atelier, au café, de façon tout à fait informelle, que je lui ai proposé de remplacer la musique par du texte et de construire un pianographique sous la forme d’un « pianolivre », à l’image de ce que pouvait faire le livre d’artiste. Il y avait pour moi là une évidence et beaucoup d’analogie entre le pianolivre et le livre d’artiste qui m’ont été plus tard confirmé par des écrits, des expositions ou par des faits liés aux pratiques artistiques de réseaux qui se rapprochent terriblement du livre d’artiste. Il est à noté que l’univers du livre d’artiste ne nous était familier ni à l’un ni à l’autre.
Ce qui soutenait l’idée, c’était une envie de développer un projet autour de la littérature numérique, de faire le lien avec la structure qui accueillait le projet (une bibliothèque où l’écrit classique à une grande importance) tout en travaillant sur la désectorisation entre les secteurs numériques et patrimoniaux. La collaboration avec l’équipe patrimoniale et l’ouverture du fonds contemporain du livre d’artiste dirigée par Evelyne Bret a été pour nous très formatrice et aussi très exaltante …
Les objectifs étaient assez simples, nous souhaitions faire connaitre davantage le livre d’artiste au grand public et ouvrir le cercle restreint des amateurs du livre d’artiste à des développements numériques possibles afin qu’il y ait des échanges et des rencontres sur des modes de création plus populaires actuellement plébiscités par le public et eux aussi fondés sur les techniques du mix-média.
Le projet de pianolivre dans sa première phase devait donc être, avant tout, un instrument grand public permettant de faire le lien (médiation) avec l’univers du livre d’artiste plus particulièrement par le biais des ateliers d’écriture adultes comme enfants. C’était l’objectif de base que nous avons concrétisé à travers la version 1. Nous avons pu démarrer fin 2007.
L’idée du nom kiibook vient d’un pied de nez. Nous souhaitions un nom retenu de tous, un peu ludique (key en anglais veut dire touche du clavier, nous avons remplacé le « ey » par deux « ii » pour paraphraser une célèbre plateforme de jeux vidéo sans fil, et book le livre). Nous avons présenté kiibook version 1 en mars 2008 à l’occasion du salon du livre d’artiste, une manifestation que Carré d’Art organise chaque année…
Quand nous sommes sur le site Kiibook actuellement, nous sommes sur la version 2. Comment s’est effectué le passage entre la version 1 et la 2 ?
La version 1 de Kiibook permettait de créer son livre d’artiste à condition que le navigateur reste ouvert. Il n’y avait pas la possibilité d’enregistrer son livre afin d’y revenir plus tard. L’idée était surtout de couvrir l’ensemble de la production du livre de la composition en ligne à son impression en allant jusqu’au façonnage. En 1 heure 1/2 on pouvait couvrir l’ensemble de la fabrication mais il faut bien reconnaitre que cela relevait de la performance. Le fait de ne pas pouvoir enregistrer son travail rebutait ceux qui souhaitaient inscrire leur création dans la durée. C’était une demande des enseignants mais aussi des élèves que de permettre l’enregistrement des données.
C’est pour cette raison qu’avec Jean Luc lamarque nous avons travaillé au développement d’une interface permettant l’ouverture et la gestion de bibliothèques personnelles. Désormais chaque auteur peut s’inscrire dans un vrai projet éditorial. Kiibook, dans sa première et deuxième édition, a été pensé davantage comme un outil de médiation aux livres d’artistes et aux arts numériques que comme un projet d’édition à part entière.
Comment avez-vous organisé les animations (les ateliers) au sein de la bibliothèque ?
L’idée de sensibiliser le grand public aux nouvelles formes de littératures numérique est omniprésente et les ateliers que nous organisons ont pour objectif de faire toucher aux publics ces nouvelles matérialités de l’écrit (objet numérique de lecture, d’écriture, de partages et de création) en utilisant les outils et les technologies actuelles. Nous souhaitions agrandir le cercle de ceux qui apprécient le livre d’artiste. Il y a des convergences de pratiques fondées notamment sur le mixed-media qui permet de toucher de nouveaux publics qui ignoraient tout de l’existance du livre d’artiste.
Nous commençons toujours nos ateliers par la découverte du fonds contemporain de livres d’artistes de la bibliothèque. Les auteurs et éditeurs les plus connus sont exposés et expliqués en guise d’introduction à l’atelier (Munari, Cox, les trois ours…etc). Cela permet de motiver les participants. L’atelier se décline ensuite en trois grandes phases : une phase d’écriture ou de sélection de texte à valoriser ; une deuxième phase qui permet de travailler la composition et la superposition entre le texte et les alphabets graphiques ; la troisième phase se décline sous deux formes : la publication d’un livre papier ou bien la création d’un ebook au format PDF que l’on peut transformer en livre à feuilleter et publier sur le blog de kiibook. (http://www.kiibook.com/blog).
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Quel est le profil des personnes participant à l’atelier…
Je dirais qu’il n’y a pas de profil type. Pour l’instant, ce sont les enseignants, les bibliothécaires qui trouvent en kiibook un outil de médiation intéressant autour de l’écrit de la littérature et du livre d’artiste ; sur la première version nous avons eu énormément de scolaires (9-12ans). Les graphistes et designers sont très surpris, intéressés par l’idée mais je pense que, tout comme le livre d’artiste, kiibook ne doit pas être un outil pour artiste solitaire. Or le fait de s’appuyer sur la convergence numérique fait que l’écrivain et le designer sont souvent la même personne ; sur la troisième version, la rencontre et le dialogue entre les acteurs du livre sera au cœur du nouveau développement.
Enfin, comment avez-vous communiqué autour de ce concept : livre d’artiste et outils sur le net ?
En terme de communication, nous avons subi la disparition de biblio.fr. En effet nous avons pu mesurer ce que la liste de diffusion nous avait apporté sur la première version c’est à dire au commencement un noyau d’une centaine d’usagers, puis sur un an un millier d’utilisateurs uniques. Pour combler ses manques nous avons du passer par les outils dits sociaux [voir la page Facebook] et je dirais que ces outils et leur capacité à promouvoir efficacement une information est un peu moins satisfaisante. Il est vrai aussi que leurs utilisations demanderaient une modération de tous les instants. Le lien, il faut l’entretenir, l’animer, l’enrichir, c’est un travail à part entière.
Nous avons choisi une autre stratégie. Nous cherchons à entrer en contact avec des collectifs ou des structures /institutions relais qui partagent les mêmes centres intérêts notamment pour la création numérique. Par exemple la sortie de kiibook a été relayé par les EPN de la région Walonnie, ce qui a permis à une professeur d’art plastique de Tarascon (Bouches du Rhône) qui faisait de la veille pour un projet de résidence d’artiste avec une soixantaine d’élèves de seconde de nous contacter pour créer un alphabet graphique sur le thème du visage. Nous sommes partis sur une collaboration qui, un jour ,pourrait déboucher sur un projet interégional.
Nous cherchons à rayonner localement autour de logiques de projets. Il y a des rapprochements entre les différentes directions de la Ville, Culture, Education, DSI (direction des services informatiques) dans lesquelles nous pouvons nous inscrire en terme de médiation, de développement des usages et des contenus qui viennent compléter une politique de numérisation liées aux équipements et infrastructures des écoles primaires. Nous étudierons la possibilité d’accompagner les enseignants et les équipes pédagogiques à l’utilisation de kiibook avec le CDDP du Gard avec qui nous avons passé une convention. Potentiellement se sont l’ensemble des écoles primaires de la ville de Nîmes qui pourrait en bénéficier. C’est une logique de mutualisation que chacun est libre d’emprunter.
Les autres utilisateurs se sont les associations. Une association nîmoise ( Lire et faire Lire) souhaitent être formée (11 personnes) pour intervenir dans les écoles primaires. Nous sommes également en contact avec des associations de quartiers et des écrivains qui cette années souhaitent valoriser les écrits publics produits dans le cadre d’ateliers…
Dans la partie Le propos, vous annoncez une nouvelle évolution avec de nouvelles possibilités (cabinet de lectures …) ?
Après avoir développé l’axe de médiation et de création, nous cherchons à développer un Kiibook Edition appliqué aux nouveaux contextes de création et de diffusion des bibliothèques numériques. Nous sommes au cœur du questionnement sur les bibliothèques hybrides qui rejoignent également les interrogations sur les nouvelles matérialités de l’écrit et plus largement sur ce que les arts numériques ont mis en lumière depuis une dizaine d’années, c’est à dire la numérisation tangible des espaces et des lieux culturels et de leur interaction avec le public dans le prolongement de ce qui s’est passé sur les réseaux. Kiibook édition sera composé d’une seule et même interface Web déclinée sur trois types d’objets avec des fonctions et des usages spécifiques pour les publics :
1 – le cabinet de lecture à fragmentation : (écran fixe et/ou nomade) – Lecteurs
Il s’agit ici de concevoir un espace de lecture et de concentration adapté aux contraintes du Web et à la culture de l’écran (Fixe/Mobile). Cette interface combinera dans le même geste furetage et lecture du fragment, permettra son isolement temporaire, son examen, celui de ses liaisons, pour être enfin sélectionné et transmis à la manufacture à histoire. Il sera possible également de procéder sur cette interface à des lectures sonores de ces fragment s et à leur capture (performance possible).
Le cabinet de lecture s’appuiera sur une base de données partenaires identifiée pour sa qualité littéraire (un site, un blog, un flux). Le cabinet dans un premier temps fera court et cherchera à valoriser : lettres typographiques, mots, billets, commentaires, articles, notes, aphorismes, citations, sentences, saynètes, sonnets, textes d’atelier, tout doit pouvoir y passer et témoigner de l’écrit du vivant. A ce titre chacun pourra s’y rendre et s’y abonner dans un jeu de représentation permanent autour de l’extraction du texte où lire pourrait également à voir avec écrire.
On est donc là dans l’antichambre sympathique de la création où l’on peut choisir ses textes tout autant pour ce qu’ils signifient que pour ce qu’ils représentent, avant de les transmettre à la manufacture à histoires.
2 – La manufacture à histoires (marqueterie digitale) – Créateurs
Ici le lieu de la rencontre tel que nous le connaissons dans le KIIBOOK actuel. Un espace de confrontation et d’arrangement entre le texte et les alphabets graphiques. C’est le lieu de la fabrique et de la composition qui pourra se fera se faire, en temps réel et simultanément, sur une ou plusieurs tables interconnectées réparties sur plusieurs bibliothèques Une fonderie où le peintre, designer, graphiste et les écrivains pourront, le plus simplement possible, composer et échanger, en temps réel, sur place ou à distance, autour des nouvelles matérialités de l’écrit sur un livre : travailler à la création personnalisée des alphabets graphiques, à leur intégration, à la juxtaposition des fragments, à leur mise en scène, à l’imposition des pages. L’interface devra faciliter « ces têtes à têtes à plusieurs ». La manufacture à histoires sera le lieu de la manipulation partagée. Il s’agira d’améliorer l’interface, d’inventer de nouveaux outils combinatoires, de faciliter leur prise en main jusqu’à l’impression, jusqu’au façonnage physique des livres d’artistes tout en transmettant les fichiers numériques ainsi obtenus à la bibliothèque à conversation.
3 – La bibliothèque à conversation (installation/projection interactive) – Publics
Ici (une salle d’exposition) le lieu de la représentation publique des KIIBOOK. Chaque institution ou individu pourra créer sa bibliothèque pour conserver ses kiibook sur le Web, mais aussi les mettre en partage et les diffuser selon une scénographie des accès qu’il reste à inventer (hélice, cartographies culturelles, autres…similaire à ( http://incunable.nimes.fr) toujours avec Jean Luc Lamarque.
Chaque livre devra pouvoir faire l’objet d’un feuilletage virtuel utilisable sur le Web mais aussi « vidéoprojetable » à l’échelle 1, sous forme de projection interactive et immersive dans une salle d’exposition. Cette bibliothèque devra encourager le dialogue physique autour des livres, de leurs critiques, par le biais de commentaires et/ou de «comment faire» vidéos ou audios déposés par le public. C’est le lieu du retour sur création où chacun pourra rendre compte de ses propres expériences de lecture de façon la plus vivante possible.
Et le partage de cette expérience avec d’autres bibliothèques… Pouvez-vous nous en dire plus ? Une convention sera nécessaire ?
Je n’ai aucun doute sur le développement technologique d’un tel projet. La bibliothèque de Carré d’Art a ouvert plusieurs chantiers numériques « quartier et jeunesse » qui constituent aujourd’hui nos chantiers prioritaires. Nous devons veiller à ce que ce projet ne déséquilibre pas les priorités actuelles.
Nos moyens sont comptés et limités. Entreprendre le développement sur une seule bibliothèque n’est pas souhaitable et je pense qu’on aurait beaucoup a apprendre des autres projets qui ont pu être expérimenté par d’autres bibliothèques et avoir le recul nécessaire pour discuter des usages en terme d’écriture et de lecture numériques et d’interaction des public avec les nouveaux médias.
Kiibook édition doit être discuté plus largement : le positionnement juridique, un développement open source par rapport à flash et as3, quel positionnement artistique pour Jean Luc Lamarque, la question de l’accompagnement et du développement des usages publics, la formation des bibliothécaires….
Je crois que nous devons aller au delà de la simple initiative isolée et travailler à l’interconnexion culturelle des systèmes d’information, des acteurs, des lieux par le biais de nouvelles interfaces.
Nous pouvons mettre en commun nos budgets (chacun dans la mesure des ses moyens et de ses objectifs) nos compétences et opérer à des rapprochements par des partenariats qui pourraient assurément être conventionnés.
C’est en cela que les artistes numériques et multimédias peuvent aider à dépasser le formatage lié aux usages logiciels en terme de développement, d’ergonomie, et d’organisation modèle largement imposée par l’industrie de l’informatique et du logiciel (quelques fois un peu dépassé). Les artistes numériques sont prescripteurs (en partie) de nouveaux usages qui sont ensuite récupérés et diffusés plus communément au sein de la société par l’industrie.
En ce qui concerne l’usage de Kiibook au quotidien nous l’avons voulu le plus direct possible il n’est pas nécessaire d’avoir une autorisation spéciale pour l’utiliser…
Je remercie Alexandre d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. Nous lui souhaitons de continuer à développer ce beau projet. Les potentialités de cet outil sont infinies. Et vous, qu’en pensez-vous ? Et si vous essayiez de réaliser votre premier kiibook ?
FQ
Une certaine tendance de la médiation en bibliothèque jeunesse
Cet article est paru dans La Revue de Livres pour enfants n° 248 de Septembre 2009 sous le titre : Vers des médiathèques numériques ? Je reprends le titre que j’avais proposé à l’origine.
Une certaine tendance de la médiation en bibliothèque jeunesse
Cela fait un an et demi que nous sommes étonnés ! Un an et demi, que plus d’une centaine de jeunes de 8 à 15 ans qui ont pourtant une connexion Internet à la maison ou chez leurs « potes » viennent, chaque jour, à la médiathèque de Saint-Raphaël retrouvant leurs copains, sur un jeu en ligne (le mmorpg DOFUS [2]) en subissant nos règles, nos contraintes (c’est-à-dire seulement une heure par jour, sur le ou les serveurs que nous leur imposons) et nos cris d’orfraie s’ils franchissent les limites. Ce qu’ils font tous les jours, évidemment ! Pour la plupart, ils n’étaient pas abonnés à la médiathèque.
Comme beaucoup de bibliothèques, nous avons suivi et accompagné le développement du « multimédia » : d’une première logithèque à la création d’un département multimédia spécifique avec l’acquisition d’un logiciel (CD-line d’Archimed) gérant une centaine de cédéroms en réseau, disposés dans des tours mâtinées de quelques accès Internet bridés (pas de tchat surtout !). Du prêt de cédérom (plus de 700) : des jeux – forcément – ludo-éducatifs, d’aventures ou des méthodes de langues…sans ironie aucune ou presque… ça marchait… et puis ça a moins marché. Les courbes statistiques de la fréquentation se sont inversées vers 2005.
2005 ? L’arrivée phénoménale des blogs, du RSS, de MSN, des SMS, des premiers réseaux sociaux, du développement des accès ADSL à la maison. Que d’acronymes en forme de coup de pied aux fesses pour notre profession !
L’expérience du multimédia à St Raphaël : « tout en ligne».
Pourtant, nous ne devrions pas être étonnés ! Comme tous professionnels sérieux, nous avons pris le temps de la réflexion face à la révolution des accès aux savoirs : observé les « mômes » sur Internet (nos listes de signets et de sites « sérieux », ils s’en moquaient…ayant vite pigé le concept des moteurs de recherche) ; remarqué – bien obligé – que les accès Internet envahissant les domiciles, les regards de nos usagers ne se portaient plus sur nos encyclopédies « papier » mais sur Wikipédia ou sur la première réponse obtenue par le moteur de recherche Google ; discuté avec les collègues d’autres bibliothèques ; participé à des journées d’études ; lu des enquêtes et trouvé que celle-ci : « les loisirs culturels des 6-14 ans» correspondait bien à ce que nous observions des usages de nos jeunes usagers ; compris qu’avec le temps notre belle médiathèque pourrait devenir une coquille vide de l’essentiel : son public. Le but de cette introspection : repenser la notion de médiation et la nature de nos propositions. Concrètement, d’abord, abandonner le réseau vieillissant de cédéroms ; puis ne plus en acheter et enfin, proposer une solution « Tout en ligne », grâce à une interface dédiée : la zone numérique jeunesse – porte d’accès à nos choix de médiateurs sur Internet. L’interface est découpée par tranche d’âge avec des liens vers les catalogues ou blogs de la médiathèque permettant de s’orienter rapidement. Chaque rubrique comprend des sous-rubriques selon les centres d’intérêt de la tranche d’âge concernée. Nous avons relayé les projets thématiques des collègues jeunesse comme celui de « la mémoire » cette année. Mise en ligne également sur le site de la bibliothèque, cette interface permet aux enfants de retrouver les sélections des bibliothécaires à la maison. Nous n’interdisons pas l’accès au site de jeux de TF1 mais incitons à d’autres découvertes. Ce que les parents nous disent apprécier. Dofus, le jeu en ligne est l’un des aspects de cette politique d’accès. Nous avons ouvert les portes des messageries instantanées et animons un blog pour les 8-15 ans nommé medi@zone avec des billets adaptés, « leurs » musiques (sur le site « légal » deezer) et parfois des contributions des jeunes (récemment un film de type « yamakasi » réalisé avec un portable ). Cet aspect de la participation des jeunes, de la parole de nos publics sur un blog ou un wiki de la collectivité est encore une piste à explorer et à baliser.
Retrouver notre place de bibliothécaires généralistes ?
La médiation est un axe qui devient de plus en plus central dans notre métier. Aujourd’hui, la question semble bien d’abandonner nos étiquettes de spécialistes pour redevenir des bibliothécaires plus généralistes. Quant à nos collègues, souvent plutôt colorés de littérature de jeunesse, de musique sérielle ou d’histoire du moyen-âge, ils doivent acquérir maintenant une touche supplémentaire : celle du multimédia. « Pourquoi l’apprentissage des technologies émergentes fait partie du travail de tous les bibliothécaires », est le titre de l’intervention donnée par Kathryn Greenhill, bibliothécaire à l’Université de Murdoch, citée sur le biblioblog Marlene’s corner : « Je n’ai pas le temps » est une des objections les plus entendues et Kathryn Greenhill recense vingt et une raisons d’utiliser les outils 2.0 dont « notre mission de base est la mise en relation de gens et d’informations ». L’expérience de Chermédia, de la BDP du Cher est exemplaire. Il s’agit de former les professionnels et bénévoles de ce département à tous ces nouveaux outils. Une belle dynamique pour en définitive réaliser des projets bien réels autour de la bibliothèque, redevenue un foyer d’accès au savoir. Reste à dialoguer avec les services informatiques de nos collectivités pour nous permettre d’accéder aux ressources.
Véronique Soulé le rappelait fort justement dans un précédent numéro de la revue des livres pour enfants, paru en 2002 : « Introduire Internet en bibliothèque c’est introduire une nouvelle façon d’accéder au savoir et à la culture ».
Quelle sera la valeur ajoutée par la bibliothèque ?
Une étude récente effectuée par l’IPSOS à la demande d’e-enfance nous apprend que 91 % des 9-17 ans utilisent Internet pour rechercher de l’information. 80 % pour communiquer avec leurs amis, 68 % à regarder des vidéos. 61 % des jeunes ont utilisé Internet avant 10 ans. Quelle sera alors la valeur ajoutée par la bibliothèque pour qu’elle continue à être un lieu attrayant et fréquenté ?
Toutes les enquêtes sur les usages d’Internet pointent la place centrale de la maison en ce qui concerne les accès à Internet. Offrir un ou plusieurs postes d’accès à Internet peut être un premier attrait statistique fort pour votre établissement mais peut mener vite à une gestion passive voire conflictuelle, d’accès à ces postes, si le seul projet est de donner accès à Internet ! (Même si la fonction « cyber-café » est très présente en bibliothèque). Il nous revient toutefois d’apporter de la valeur ajoutée à notre offre d’accès à Internet. Voici quelques grands types d’expériences possibles en médiathèque jeunesse.
Cette interface de la zone numérique jeunesse, déjà citée plus haut, est un exemple de mise en valeur des sites. Un gamin arrive à la Médiathèque : il s’installe sur un poste. Il file tout de suite sur You tube et visionne un combat de catch. Il a douze ans. Comment a-t-il pu connaître ce « sport » qui –reconnaissons-le – ne passe pas régulièrement à la télévision ? Ce type d’usage doit jouer le rôle d’un petit caillou blanc permettant de trouver le chemin numérique de ces enfants que nous appelons des « digital natives » ? Aurions-nous proposé, nous les passeurs de culture, ce thème spontanément ? Comment créer des liens entre ce gamin passionné de catch, sport où l’on fait croire que… et un auteur nommé Molière et sa pièce Tartuffe, où il s’agit de faire croire que… ? C’est la clé à trouver pour construire une passerelle entre nos savoirs déjà bien établis et des savoirs en devenir.
Pour valoriser le côté interactif des accès à Internet, à Saint-Raphaël, nous avons également modifié l’espace multimédia jeunesse en plaçant notre poste de contrôle horaire des accès au centre des enfants et en créant un coin ados comprenant mangas, comics, cédéroms en prêt et cubes-présentoirs pour présenter d’autres documents (romans, albums, documentaires ou DVD jeunesse). Bénéfice ? Une connaissance accrue des usages des enfants facilitant l’aide que nous pouvons leur apporter. Le succès rencontré avec le jeu Dofus a permis l’inscription de nouveaux abonnés (plus de cent nouvelles en trois mois) et une augmentation du prêt. Passé l’heure quotidienne de connexion à Internet, les autres potentialités de l’espace jeunesse attirent les jeunes.
Les blogs de bibliothèques ou de bibliothécaires jeunesse sont aussi un mode de médiation dynamique. Ils permettent de mettre en valeur les acquisitions et donner des conseils de lecture en favorisant les commentaires, de présenter les animations à venir ou passées, d’informer et de garder trace des activités, de publier des vidéos ou de faire des liens vers des ressources. Le blog Trollire des bibliothécaires jeunesse de Grenoble (38) accueille les critiques des livres lus par les enfants. Un des avantages du blog est de s’abonner à des flux RSS pour recevoir l’information directement dans sa boite mail et ainsi fidéliser son public.
Sur le même mode, le blog Je lis, tu lis, nous aimons de la médiathèque de Chassieu (69) est associé à un site Myspace et à une page Facebook. La bibliothèque jeunesse se dissémine ainsi sur tous les lieux susceptibles d’être fréquentés par ses jeunes lecteurs.
Dans le réseau des bibliothèques de Montréal, par exemple, c’est la forme du club de lecture qui est rajeunie. Dans un jeu animé par un détective virtuel, l’agent 009, les enfants découvrent des livres selon leur âge et un ensemble d’activités est organisé autour de la lecture. Des sites thématiques autour du polar sont disponibles. Sur Black polar, les enfants ont 15 minutes pour lire une courte nouvelle et percer l’énigme sous la coupe du commissaire Blondel.
Enfin, Blog à part de la bibliothèque de Toulouse parle aux enfants de littérature, de cinéma, de musique et de sorties. C’est une forme actualisée du journal, plus simple à réaliser et avec un ton et un projet éditorial adapté. Citons aussi le blog des bibliothécaires jeunesse de Toulouse où l’on se retrouve dans la cabine d’un vaisseau spatial !
Sur l’agglomération de Fréjus Saint-Raphaël, les deux médiathèques, les lycées et collèges du territoire local se sont associés pour créer un prix littéraire relayé sur le blog De la plume à l’oreille. Documentalistes et bibliothécaires choisissent cinq livres par an. Les enfants lisent, votent pour leur préféré et un ou plusieurs auteurs viennent rencontrer les enfants. Vous pouvez voir le résultat en regardant le podcast consacré à Erick L’Homme (et sa série Phaenomen) publié sur le site de la bibliothèque de Saint-Raphaël rubrique conférences en ligne .
Le comité départemental de lecture jeunesse du Var a ouvert très récemment un blog pour « prendre un virage contemporain » et surtout mettre à disposition les analyses de livres réservées jusqu’à présent aux professionnels membres du comité. Les blogs de bibliothèques publiques sont nombreux et regorgent d’idées. Touti Frouti est le portail qui les recense. Si vous ne savez pas par où commencez, jetez-y un œil !
En utilisant un agrégateur de fils RSS comme les univers netvibes, vous pouvez à votre tour présenter sur une plateforme mutualisée une sélection de sites et de blogs selon une thématique propre au projet jeunesse de votre bibliothécaire. Les éditions Milan ont été un des premiers éditeurs à saisir la pertinence de cet outil pour faire la promotion de leurs titres. D’autres ont créé des univers de ressources pour les collégiens fréquentant le CDI du collège Jean Malrieu de Marseille (13) ou encore un univers consacré aux jeux littéraires comme à la Médiathèque de Saint-Quentin en Yvelines (78). Pour d’autres idées, rejoignez le wiki Bibliopédia à la page « Bibliothèques sur netvibes ».
Wikipédia et Wiki-Brest n’ont plus besoin de démontrer leur succès et leur pertinence. L’approche collaborative permet de fédérer des savoirs et des compétences qui n’ont pas toutes été reconnues par un diplôme. Avec le web 2.0, la notion d’expert est remise à plat. Outils idéaux pour des projets d’écriture collective , deux wikis à destination des jeunes sont récemment apparus. Vikidia et Wikimini proposent aux enfants de 9 à 13 ans d’écrire des articles à la manière de Wikipédia, leur grande sœur. Il serait intéressant de se saisir de ce type d’outil en bibliothèque. La médiathèque de l’Astrolabe de Melun (77) propose un atelier d’écriture en ligne, Marelle, zone d’écritures poétiques , où tout un chacun peut participer.
Récemment, Christelle Membrey, professeur de lettres et formatrice TICE a ouvert un site coopératif basé sur l’outil Ning qui permet de créer un réseau social : Education Media Internet. Ce site au slogan « On ne naît pas internaute, on le devient » est un lieu d’échanges et de réflexions. Une adresse intéressante pour y participer éventuellement.
Enfin, proposer du jeu vidéo en ligne ou sur autre support est une possibilité qui permet de donner une vision plus attractive de la bibliothèque auprès du public jeune. A nous ensuite de les attirer vers nos autres potentialités. Les jeux en ligne sont accessibles à tous : sur Dofus, nous utilisons à Saint-Raphaël la partie gratuite du jeu depuis plus de un an et demi sans que les enfants aient épuisé les ressources du jeu. Attrait supplémentaire : tous les deux mois, un combat « amical » en ligne a lieu avec les enfants de la médiathèque de Roquebrune sur Argens. Trois autres communes du 13 et du 34 nous rejoindront fin juin 2009 pour un combat élargi ! En janvier 2010, nous sommes huit bibliothèques à jouer ensemble. Depuis peu de temps, les jeunes usagers des bibliothèques de Montpellier jouent à la médiathèque sur les consoles de jeu les plus connues pour « partager, dialoguer, se concentrer, respecter autrui, apprendre les règles, [qui] sont autant d’attitudes que les jeux développent. Elles sont déterminantes pour vivre harmonieusement avec les autres ». Reste à résoudre le problème des droits de prêt de ces nouveaux supports si nous souhaitons prêter ces jeux. Il faut reconnaître que les grands majors créateurs des jeux les plus utilisés ne semblent pas très pressés d’atteindre la niche bibliothèque ! Enfin, l’un de mes collègues bibliothécaires réalise un blog incontournable : Jeux vidéo et bibliothèque qui vous apportera de précieux éclairages.
Faire évoluer notre regard sur la médiation…
Le site Yahoo Questions Réponses interroge notre métier de façon intéressante. Il recueille en moyenne 2.3 millions d’utilisateurs par mois en France. On peut poser tout type de questions sur ce site collaboratif qui tient plutôt du forum ou de la messagerie instantanée. La qualité et la pertinence des services de questions/réponses proposés par les bibliothèques sont aux antipodes de cette approche. Ce serait formidable si des étudiants en information-documentation se penchaient sur ce site avec sa forme d’expertise très spécifique, où la médiation est faite par chacun pour tous.
Blogs, fils Rss, ou Wikipédia sont emblématiques de ce web inscriptible et collaboratif et créent une énergie positive. Toutefois, du côté des professionnels, nous devons nous autoformer en permanence face à ce web en bêta perpétuel. N’oublions pas que nos « digital natives » n’ont pas nos appréhensions face à la nouveauté, qu’ils ont besoin de balises et de méthodes pour naviguer en toute sécurité. Vous avez dit médiateurs ?
FQ