Livre et numérique

Où sont passés les Exemplaires ? Nouvelle flânerie dans le Web littéraire, celui de 2015.

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Jeudi 2 avril, j’ai été invité à intervenir pour la biennale EXEMPLAIRES : formes et pratiques de l’édition qui se tenait à l’Ecole supérieure des Beaux-arts de Lyon (ENSBA). Le colloque avait notamment pour objectif de mettre en lumière certaines expériences significatives dans le domaine du design éditorial contemporain. Plutôt que de mettre mon diaporama sur slideshare, voici le détail de mon intervention… Bonne lecture…

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« Les objets hérités de la culture de l’imprimé et du livre, avec leur support complexe et multiple, leur matérialité, sont aujourd’hui confrontés aux réalités des pratiques et des contraintes de l’environnement numérique. Si le livre comme objet résiste, la culture du livre et de l’imprimé est en crise en grande partie à cause des pratiques courantes et quasi naturelles dans l’environnement numérique.

La convergence entre la technique et l’héritage culturel nécessite une remise en question des valeurs attachées à des pratiques éditoriales et juridiques ancrées dans une tradition avec un poids économique important, une fonction symbolique puissante et un rôle politique majeur. Car les objets sont aussi associés à des institutions qui sont des lieux de production, de transmission et de préservation du savoir.

Et la fragilisation actuelle de ces objets implique une déstabilisation de ces espaces lettrés et savants, de même que leur soumission aux pressions suscitées par les modèles de la production du savoir inhérente à l’environnement numérique. »

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Indispensable lecture…

« Ainsi, la mutation induite par le numérique touche d’abord à la stabilité de cet espace dans toute sa diversité. Qu’il s’agisse de l’institution et de ses extensions (université, édition, revues scientifiques, etc.) ou des archives (bibliothèques), la culture numérique transforme les pratiques courantes et risque de modifier la nature même des objets de notre savoir comme de l’espace censé les accueillir et les faire circuler.

Cette dimension spatiale est essentielle, voire déterminante, car elle participe d’une manière remarquable à ce bouleversement général qui semble caractériser notre aventure numérique. »

Milad Douehi in Pour un humanisme numérique : http://www.publie.net/fr/ebook/9782814506411/pour-un-humanisme-numerique

En observant les nouvelles pratiques d’écriture de certains auteurs (pas tous) sur le web, on peut se demander légitiment où sont dorénavant passés les exemplaires qui constituaient traditionnellement la collection de la bibliothèque ?

Et comment, nous, les bibliothécaires, traditionnels passeurs de savoir nous allons recueillir ces nouveaux objets qui ont la forme d’un web livre pour reprendre la formule de François Bon ?

Comment nous allons les conserver… mais surtout les mettre à la disposition des lecteurs ?

Je vous invite donc à une nouvelle flânerie dans le web littéraire, celui de 2015.

(Voir ma précédente flânerie, rédigée pour le BBF et découvrir des auteurs d’aujourd’hui explorant le numérique pour renouveler  leur manière d’écrire – un netvibes que j’entretiens de temps en temps permet de vous donner les liens)

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Je ne parlerai ici… ni des livres homothétiques… ni des livres applications… ni des livres enrichis…

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Le Salon de L@ppli – Médiathèque André Malraux – Strasbourg

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« L’apprentissage, l’imaginaire, les chemins du savoir, la transmission des techniques, des rêves et des secrets, tout passait par le livre. Mais, depuis deux décennies (tout de même déjà une histoire), nous confions progressivement la totalité de nos usages, depuis les routines professionnelles jusqu’aux commodités les plus privées, à des appareils électroniques. Avec des risques lourds, quand ces appareils et leurs logiciels, et l’économie de ce qu’ils véhiculent, sont sous monopole de quelques groupes dont l’art et la civilisation sont moins la préoccupation que la bourse et la domination. » Nous voici donc confrontés à l’instable. Il concerne aussi bien les supports, chaque nouvel appareil condamnant le précédent, là où le livre – résultat d’une considérable histoire industrielle d’une ergonomie complexe – tolérait que chaque nouvelle strate acceptait les anciennes (mais dans un changement d’échelle qui les reléguait quand même à d’infinies distances : consultons-nous autrement que dans les expositions des grandes bibliothèques les vieux portulans ?), qu’il concerne les formes mêmes de l’écrit. La relation du texte à l’image, le rôle de la voix pour le conteur ou l’écrivain, le travail quotidien et l’attention au bruit du monde, rien de neuf sous le soleil. Seulement, la forme transmise s’appuyait sur ce qui en était le plus reproductible : le texte, donc, puis l’imprimé. »

in Après le livre / François Bon. – Paris : Seuil, 2011. – 275 p.

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Ce n’est pas que nous ayons tout à réapprendre : la réflexion sur la typographie, le lien à la part technique de l’écriture (on le croisera pour l’histoire infiniment complexe et passionnante de la tablette d’argile, mais aussi pour Rabelais ou Flaubert) ont toujours été présentes dans l’histoire immédiate de la littérature. Simplement, l’apparente stabilité du livre autorisait qu’elle reste à distance, qu’on la sache, mais en filigrane. Il n’y a jamais eu d’auteur ni d’écriture qui puisse se séparer de ses conditions matérielles d’énonciation ou reproductibilité, ni Shakespeare, ni Bossuet, ni Baudelaire ni Proust : mais lorsque la rupture technique englobe la totalité des aspects de l’écrit, à quoi se raccrocher pour disposer soi-même d’un point d’appui et continuer ? Paradoxalement peut-être, l’objet qui témoigne le plus en avant de cette mutation radicale, c’est le livre imprimé : assemblage de fichiers xml pour le contenu, de masques css pour l’apparence, de métadonnées pour sa distribution, il est déjà en lui-même une sorte de site web, dont la carapace numérique permet aussi bien d’être imprimé qu’archivé, révisé, porté sur des supports électroniques. »

in Après le livre / François Bon. – Paris : Seuil, 2011. – 275 p.

Pour François Bon, le livre c’est le WEB… dorénavant… et il le met en pratique avec son livre atelier en construction permanente : son Tiers livre. Et, il n’est pas le seul à penser ainsi…

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Si le livre c’est le web, et plus particulièrement le site web d’un écrivain, quelle va être la version que nous allons consulter ?

Quelle sera la version la plus fidèle pour entendre la pensée de l’écrivain ? Celle qu’il considérera comme ultime ? La moins sujette à remords ?

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Pour Après le livre : 9 éditions en 9 mois pour cet exemple… exemplaire… Beaucoup d’interventions sur le texte originel parce que le texte a été mis en premier lieu sur le site de l’auteur et que les lecteurs ont fait des commentaires, interagit donc… Mais, attention, si ces interactions avec les lecteurs peuvent être intéressantes, elles ne sont pas systématiques. Elles peuvent être pertinentes pour certains projets. L’auteur reste maitre de son texte, de sa parole et de sa voix. L’écriture numérique permet d’explorer de nouveaux rapports de diffusion et d’échanges et n’est pas un gadget « ludique » pour que ce soit plus « fun » !

Pour le bibliothécaire, quel exemplaire choisir pour mettre à disposition de ses lecteurs et en définitive, quelle version conserver ?

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La version imprimée des livres de Publie.net ? Publie.papier

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On pourra ensuite travailler la forme de l’impression. Peut-être que les bibliothèques, un jour, vont se mettre à acheter ces machines réservées jadis aux imprimeurs, machines de taille réduite qui permettent d’imprimer à la demande l’exemplaire d’un livre. Ce serait d’ailleurs une suite logique des opérations de numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques : offrir une version imprimée gratuite ou payante à ceux qui le souhaitent.

Et il faudra bien alors se mettre à travailler la forme du livre (embaucher de nouveaux professionnels ?). Il ne suffira pas simplement de numériser un livre, mais travailler l’objet livre à imprimer… et très certainement, avec l’un d’entre vous ou l’un de vos élèves – designers du livre.

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Sonia Landy Sheridan, ”Generative Systems”, 1973

D’ailleurs, dès 1970, l’artiste Sonia Landy Sheridan fonda le programme de systèmes génératifs, associant scientifiques, industrie, artistes et étudiants diplômés pour ainsi explorer les «implications des révolutions des technologies de communication dans l’art», ce dans une approche autant théorique que pratique. Elle travailla notamment avec 3M et Xerox sur ces nouvelles machines qui révolutionnent déjà le monde du livre.

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Le photographe Marcopoulos avec une Xeros s’est approprié ces machines pour éditer des photographies parues sur son blog en collaboration avec l’éditeur géant new-yorkais Rizzoli

Un livre numérique a t-il moins d’épaisseur qu’un livre numérique ?

Bien entendu, ma question peut être comprise de plusieurs manières…

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Des réservoirs de livres numériques ont commencé à se constituer… Je cite ici Gallica, le projet d’une bibliothèque publique, la BNF.

J’aurai aussi pu démarrer par celui du projet Gutenberg de Michael Hart, auteur du premier livre numérique, celui qu’il a mis en ligne le 4 juillet 1971 sur les quelques ordinateurs en réseau à son époque, du temps d’Arpanet.

Avant 1991, 1000 ordinateurs seulement étaient connectés en réseau. En 1991, Tim Berners-Lee et son équipe inventent Internet. Un an après, en 1992, 1 million d’ordinateur sont reliés et en 2016, on atteindra plus de 2 milliard d’appareils connectés (PC, smartphones, tablettes).

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Tim Berners-Lee / Gutenberg

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Les sources du savoir et de la connaissance, les objets livres, petit à petit, sont numérisés et se retrouvent accessibles en ligne. C’est une révolution majeure pour le mode d’accès et la transmission culturelle.

Je ne vais rentrer dans le détail mais je voudrai évoquer une des caractéristiques les plus importantes développée par Tim Berners-Lee, le lien hypertexte.

Parce que c’est cette invention, à mon avis, qui permet un renouvellement de la manière d’imaginer les livres de demain… la manière de les concevoir, de les lire et de transformer l’expérience de lecture des lecteurs…

D’ailleurs bien avant l’invention du web, des auteurs ont déjà pensé lien hypertexte et d’autres manières de raconter des histoires…

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Marelle est un roman de l’écrivain argentin Julio Cortázar publié en 1963.

Une note en début de livre annonce que Marelle, qui se compose de 155 chapitres, peut se lire de deux manières. Soit de manière linéaire, du chapitre 1 au chapitre 56, soit de manière non linéaire en partant du chapitre 73 et en suivant un ordre indiqué en début de livre.

Cortazar n’est pas le seul à avoir essayer de jouer avec la forme, le support et le contenu… Voir Borges ou Pérec et sa Vie mode d’emploi en 1978, construit sur le principe des grilles de mots croisés et qui reste difficile à reproduire, à composer car pour certaines pages, Pérec, a caché des acrostiches.

Marelle n’est pas un livre dont vous êtes le héros mais il expérimentait déjà la lecture aléatoire et permettait d’avoir une autre expérience de lecture.

Plus récemment, en 2000, La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski innove. En premier lieu, le format et la structure du livre ne sont pas conventionnels, sa mise en page et son style sont inhabituels.

Il contient par exemple de copieuses notes de bas de page, qui contiennent souvent elles-mêmes des annotations. Certaines sections du livre ne renferment que quelques lignes de texte, voire juste un mot ou deux répétés sur la page. Cette distribution des vides et des blancs, du texte et du hors-texte, peut susciter des sentiments ambivalents d’agoraphobie ou de claustrophobie mais reflète aussi certains événements intérieurs au récit.

Un autre trait distinctif du roman réside dans ses narrateurs multiples, qui interagissent les uns avec les autres de manière déroutante.

Enfin, le récit se dirige fréquemment dans des directions inattendues. Le livre vient d’être réédité mais son coût de fabrication reste élevé.

Le Web, dès lors, peut être pour les auteurs une alternative pour inventer de nouvelles formes.

Des auteurs contemporains jouent aujourd’hui avec les codes du Web d’autant que l’auteur qui écrit aujourd’hui sur le Web est confronté à d’autres problématiques : celles notamment de l’inattention de son lecteur et de cette « manie » courante de ne plus lire que par fragments… L’écriture par fragments se prête bien au Web.

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Pour lire… Pour écrire… Il faut souvent choisir un lieu… son lieu… …Un endroit pour être bien (corps/esprit)… un espace stimulant… Être seul ou dans une agora… Sur support imprimé ou numérique… La lecture numérique nous invite à poser la question de nos manières de lire

Anne Savelli travaille aussi la forme du livreImmuable un livre ?

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Marcello Vitali-Rosati est professeur adjoint de Littérature et culture numérique au département des littératures de langue française à l’Université de Montréal.

Plutôt que d’écrire un nouvel article théorique, en décembre 2012, il s’est décidé à raconter une histoire quotidiennement pendant un an en essayant de capter l’attention de ses lecteurs, en jouant sur la forme de courts fragments. Son site Navigations fonctionne ainsi  :

L’abondance des contenus nous fait souvent peur. Nous avons besoin d’une structure, d’un dispositif qui produise unité – sens. Les éléments éparpillés doivent trouver un tissu. Il faut des règles, les règles du jeu.

L’expérience d’écriture proposée ici s’impose un cadre.

D’abord, une limite de temps : un texte par jour posté à 21h UTC pendant un an – du 12-12-12 au 13-12-13. Épuiser ce temps est la première tâche de cette écriture.

Ensuite, des structures formelles : une longueur journalière du texte de 1000 caractères – dictée par le temps de lecture requis et par la possibilité de visualiser le texte dans un écran sans scroller.

Et encore, un lien fort entre les textes : un élément de continuité reliera l’écriture d’un jour avec celle du jour suivant. L’ordre sera donc chronologique.

Enfin, un dispositif technique : du code html greffé sur spip. À l’intérieur de ce cadre, aucune contrainte de contenu.

Le parcours qui se produira sera une navigation libre dans un périmètre défini.

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Un livre numérique a ensuite fixé le texte, paru aux éditions Publie.net, le conservant pour éviter le risque de disparation du site.

Le site d’Anne Savelli – Dans la Ville haute – a disparu car l’adresse du site n’a pas été renouvelée… une inattention de l’auteure cette fois… Il n’y a pas que les lecteurs qui sont inattentifs. Pardon Anne… 😉

N’empêche, le livre numérique fixe une forme mais ne permet pas toujours de retrouver l’expérience de lecture initiale comme celle où l’on découvrait chaque jour le texte de Marcello ou le parcours aléatoire que nous pouvions faire dans les images d’Anne Savelli.

Comme l’évoque ce récent colloque à Montréal, les frontières sont à renégocier en permanence entre livre et numérique. Faut-il d’ailleurs que le livre sur le web soit systématiquement imprimé ? Certains auteurs choisissent délibérément que leur web livre ne pourra être imprimé…

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LE NAURNE est un feuilleton de littérature numérique en 15 épisodes créé par deux auteurs : Léo Henry et luvan et la graphiste Laure Afchain.

Un vendredi par mois, nous découvrons l’histoire imaginée par les deux écrivains et mise en scène conjointement par la graphiste. L’idée initiale est, en effet, de jouer avec les codes du web – les ascenseurs, les transparences, les cadres… pour chaque épisode. Expérimenter en réel une nouvelle manière de raconter, non artificielle, qui sert l’histoire à raconter…

On est loin du livre homothétique et ici, la lecture est continue. Il n’y a pas de sons ni d’images (parfois des plans, des schémas).

Léo Henry dit que pour lui, un livre numérique c’est un livre qu’on ne peut pas imprimer sans en perdre une de ses dimensions… Pour l’instant, la plupart des auteurs et des éditeurs ne voient pas encore la potentialité de ce nouvel outil. Et il ne s’agit pas ici de créer une nouvelle forme du cédérom…

Je ne sais pas si nous arriverons dans le futur à proposer une offre de prêt de livres numériques en bibliothèque préservant la diversité des publications – petite édition notamment – mais il est certain que développer les résidences d’écriture numérique de cette manière est un axe pour soutenir la création littéraire et favoriser les échanges avec le public. Léo Henry et Luvan ont déjà proposé deux rendez-vous avec leurs lecteurs à la Médiathèque André Malraux… à suivre… le prochain épisode vendredi 10 avril 2015…

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Voici la forme de l’épisode 4. Je vous invite à découvrir les épisodes déjà parus sur lenaurne.fr.

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D’autres formes, d’autres jeux… Oulipo gare à toi…  Ici l’expérience de Mathilde Roux. Les auteurs jouent toujours avec la structure du texte et d’autant mieux s’ils connaissent les rudiments du code !

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Kiibook est née d’une rencontre entre un bibliothécaire (Alexandre Simonnet) et le travail de Jean luc Lamarque , un artiste numérique en 1997. Il venait d’inventer le pianographique (http://www.pianographique.net) qui était un instrument multimédia graphico-musical qui permet de mixer divers médias issus du web. C’est un peu l’ancêtre de wj’ing.

L’idée a été de développer un projet autour de la littérature numérique, de faire le lien avec la structure qui accueillait le projet (une bibliothèque où l’écrit classique à une grande importance) tout en travaillant sur la désectorisation entre les secteurs numériques et patrimoniaux.

Les objectifs étaient assez simples, il s’agissait de faire connaitre davantage le livre d’artiste au grand public et d’ouvrir le cercle restreint des amateurs du livre d’artiste à des développements numériques possibles afin qu’il y ait des échanges et des rencontres sur des modes de création plus populaires actuellement plébiscités par le public et eux aussi fondés sur les techniques du mix-média.

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L’expérience Kiibook proposée par la bibliothèque Carré d’art de Nîmes permet à qui le souhaite de créer des livres virtuels en PDF  grâce à plusieurs alphabets de lettres et de signes qu’il s’agit de combiner. Un blog associé permet de voir les contributions des participants.

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Je ne vais pas multiplier les exemples.

Vous avez compris, je pense, la richesse de contenus qui est train de naitre sur le Web. Et quel est dorénavant notre souci en bibliothèque pour suivre la production de certains auteurs, la difficulté pour faire connaître leurs textes – nous allons avoir besoin de nouveaux outils de mise en valeur pour les mettre en avant. Le problème de la conservation est encore plus vaste. A part de rares exceptions, une grande partie du Web des origines est irrémédiablement perdu…

Saluons toutefois, la naissance, depuis 2006, d’un dépôt légal du Web mis en place par la BNF. Et qui pourra être consulté dans certaines bibliothèques de villes françaises.

Pour conclure, un constat : vous avez eu raison de mettre un S à exemplaire pour votre colloque. Mais le concept d’exemplaire n’est sans doute déjà plus pertinent pour  rendre compte de la création littéraire en cours…

A suivre…

« Platon voyait l’écriture comme beaucoup voient les ordinateurs aujourd’hui : une technologie extérieure et étrangère » (Walter J. Ong)

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Flânerie Quotidienne

2014-06-01 15.13.26 Buren – MAMCS – Strasbourg – juin 2014

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« La plupart des gens sont surpris, et beaucoup déroutés, d’apprendre que les arguments souvent avancés aujourd’hui contre les ordinateurs sont essentiellement les mêmes que ceux avancés par Platon dans le Phèdre (274-277) et dans la lettre VII contre l’écriture. Comme Platon le fait dire à Socrate dans le Phèdre, l’écriture est inhumaine, elle prétend établir en dehors de l’esprit ce qui ne peut être en réalité que dans l’esprit. Elle est une chose, un produit manufacturé – on fait le même reproche aux ordinateurs. Deuxièmement, insiste le Socrate de Platon, l’écriture détruit la mémoire. Les utilisateurs de l’écriture perdront peu à peu la mémoire à force de compter sur une ressource externe pour parer à leur manque de ressources internes. L’écriture affaiblit l’esprit. Aujourd’hui, les parents et d’autres craignent que la ressource externe que sont les calculatrices ne remplace la…

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Les 3 grandes missions du GLN

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Groupement pour le développement de la Lecture Numérique

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COMMUNIQUE DE PRESSE

Création du GLN – Groupement pour le développement de la Lecture Numérique

Pour diffusion  immédiate

Paris, le  15 0ctobre 2013 – Les professionnels de l’édition annoncent la création du Groupement pour le développement de la Lecture Numérique (GLN).

L’objectif du GLN est de fédérer tous les acteurs francophones professionnels autour du développement du format numérique et de sa diffusion auprès d’un large public.

Avec la mutation des métiers du livre et l’émergence de nouvelles activités, les acteurs professionnels du secteur se mobilisent pour contribuer à l’avènement d’une véritable industrie de la lecture numérique.

Ainsi, le GLN entend être le pivot pour tous les professionnels travaillant dans le secteur de l’édition pour organiser et structurer la filière numérique dans une complémentarité constructive avec le format papier.

A la fois observatoire des tendances, de l’activité économique et des usages, le GLN entend œuvrer pour donner aux professionnels…

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Une épidémie de Fabien Clouette (Publie.net, 2013) – Eloge de la lecture numérique (ELN), 1

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Flânerie Quotidienne

Des extraits du texte lu valent mieux que de longs discours? Pour une nouvelle rubrique qui donnera à découvrir des livres numériques ou des textes issus du web littéraire, fictions ou non fiction, essais ou parfois expérimentations autour de la lecture… et celles plus particulièrement autour de la lecture numérique, qui est toujours de la lecture… Je commence donc par ce texte de Fabien Clouette, découvert sur nerval.fr : magazine de fictions et de littérature en ligne et devenu, depuis quelques jours, un livre numérique…

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« Voilà cinq semaines que je suis enfermé. La quarantaine généralisée prend fin à midi. J’ai reçu une lettre de R. Les épidémies qui ont touché la ville dernièrement l’ont remplie de terreur. Sa grand-tante est presque morte dans ses bras un matin, avant de ressusciter au souper. Les murs de la citadelle sont glacés, et laissent apparaître des veines rouges de…

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Un objet qui ne respecte pas les droits du lecteur mérite-t-il de s’appeler livre ?

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- S.I.Lex -

Hier devant la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée était discutée une proposition de loi présentée par le rapporteur Christian Kert de l’UMP, dont le but est d’interdire la gratuité des frais de port afin de préserver les libraires de la concurrence d’Amazon. Au cours de la discussion, la députée Isabelle Attard (EELV) s’est attachée à démontrer qu’une telle mesure « ne peut prétendre changer quoi que ce soit à l’état du commerce du livre en France » et qu’elle revenait à « prendre le problème par le petit bout de la lorgnette ». 

Au lieu d’essayer de rétablir l’équilibre de l’écosystème du livre par le biais d’une Lex Amazon, elle s’est livrée une analyse beaucoup plus générale de la question du livre numérique et a proposé une mesure très intéressante, qui pourrait s’avérer bénéfique pour les libraires, mais aussi pour les lecteurs.

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Comment les auteurs (certains) se saisissent du Web pour renouveler notre expérience de lecture ? Présentation au Congrès de l’ABF 2013 à Lyon

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Je suis intervenu Vendredi 7 juin au Congrès de l’ABF sur l’atelier intitulé : « Comment le numérique modifie le rapport à la lecture ? Le rôle de la médiathèque, fabrique du citoyen« .

Vous trouverez ma flânerie subjective et non exhaustive ici :  Promenade dans le Web littéraire de 2013

Bonne découverte

Franck Queyraud

P.S. :

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Bibliothécaires de tous les pays, connaissez-vous la revue numérique D’ici là ?

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Bibliothécaires de tous les pays, connaissez-vous la revue numérique D’ici là ? Son numéro 9 vient de paraître chez Publie.net, et vous pouvez la découvrir aussi sur son site

Une belle expérience pour découvrir les possibilités de l’epub…

Franck Queyraud

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Le neuvième numéro de la revue d’ici là est consacré à la nuit :

« Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine.

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure… »

Le Pont Mirabeau, Guillaume Apollinaire

Sommaire du numéro :

Présentation complète des auteurs et liens vers leurs sites sur le site de la revue

42 auteurs / 198 pages

Sommaire : 

ana nb, François Bonneau, Michel Brosseau, Daniel Cabanis, Benoît Chailleux, Claude Chambard, Christiane Cohendy, Floriane de Lassée, Caroline Diaz, Marc-Antoine Durand, Claude Favre, Marin Favre, Jean-Yves Fick, Patrick Froehlich, Rémi Froger, Xavier Galaup, Stéphane Gantelet, Maryse Hache, Paola Hivelin, Sabine Huynh, Emmanuèle Jawad, Christine Jeanney, Philippe De Jonckherre, Pierre Ménard, Juliette Mézenc, Grégory Noirot, Isabelle Pariente-Butterlin, Laurent Pernot, Cécile Portier, Franck Queyraud, James Reeve, Mathieu Rivat, Antoinette Rouvroy, Francis Royo, Anne Savelli, Joachim Séné, Aurore Soares, Jean-Pierre Suaudeau, Jérémy Taleyson, Nicolas Tardy, Éva Truffaut, Voxfazer.

Bande son : 

Voxfazer :   Nuit . Anne Savelli :  Tu n’es jamais seul/e dans la nuit . Marc-Antoine Durand & Christiane Cohendy :  Que ferais-je de moi à la nuit ?  Marin Favre (sur un poème de Jean Tardieu, interprété par le quatuor  Maria Braun  (chant : Dominique Favat, violon et percussions Marin Favre, violoncelle Olivier de Monès, percussions multiples Jean Pierlot)) :  Quand la nuit . Patrick Froehlich :  Voix organiques . François Bonneau :  Impossible à remplir . ana nb :  Est-ce la nuit à tes côtés ?  Antoinette Rouvroy :  Insomnie.

Direction artistique : Pierre Ménard

Création ePub : Gwen Catala

PUBLIE.PAPIER : le sas entre livres « papier » et epub : appel à mes collègues bibliothécaires…

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Chers collègues bibliothécaires,

je réveille ce blog pour une naissance importante et une belle solution pour les bibliothèques qui souhaitent promouvoir une maison d’édition contemporaine (mais pas que) et se lancer dans le livre numérique auprès de leurs usagers.

Bientôt, début juillet, la coopérative d’auteurs Publie.net, propulsée par François Bon innovera de nouveau et se lancera dans la POD (Print on Demand), avec l’ouverture de Publie.Papier et le partenariat du réseau Hachette Livres.

En quoi ça consiste ? Les livres numériques du site Publie.net deviendront disponibles à l’impression à la demande – une cinquantaine pour commencer sur les 573 du catalogue à ce jour – et seront accompagnés du fichier numérique en epub, téléchargeable grâce à un code. Les bibliothèques pourront ainsi constituer une double collection, papier et numérique et cerise sur le gâteau : auront le droit de télécharger (et non de le consulter en streaming !) le fichier epub du livre sur une liseuse ou une tablette, disponible ainsi pour leurs usagers. C’est une évolution qui j’espère fera des petits… rassurera les éditeurs… C’est sans doute aussi une solution pour la librairie indépendante, permettant, entre autres, une gestion différente du fonds disponible  : Ombres blanches à Toulouse se lance dans l’expérience.

Quelques remarques non-exhaustives sur la nécessité de ne plus attendre pour promouvoir le livre numérique en bibliothèques (merci de compléter dans vos commentaires) :

Le moment est venu, chers collègues bibliothécaires, de repositionner les bibliothèques comme un médiateur vital dans la chaine du livre – garant de la diversité culturelle – en ces temps numériques et démontrer aux « grands » éditeurs que le développement du livre numérique peut passer par les bibliothèques (présentes sur terre depuis environ 3 ooo ans… un peu d’humour…)

Je vous avoue que cette offre Publie.papier me ravit  notamment pour la constitution de collections de livres numériques permettant aux bibliothèques de conserver sur leurs serveurs, les fichiers numériques des livres acquis. Je suis un peu revenu du mirage de l’accès dans le grand nuage.  Je ne pense pas que la conservation du savoir et des connaissances doit être assurée par des sociétés privées tentaculaires, hégémoniques et partiales (Vous voyez de qui je parle !). Les bibliothèques publiques sont des organismes neutres et pérennes garantissant un accès et une mémoire sur le long terme. Je sais que je ne vais pas plaire à tout le monde en parlant de collections de livres numériques mais je ne crois plus au miraculeux nuage où tout serait disponible. Désolé.

Pour mémoire, actuellement, les diffuseurs de livres numériques pour les bibliothèques ne proposent que la lecture en streaming sur écran ou sur tablettes tactiles par crainte du piratage des fichiers (Sauf L’Harmattan et Numilog). On peut comprendre. Certes il n’y a pas de DRM mais quid de la souplesse d’utilisation ! Je veux pouvoir bénéficier des avantages de l’epub même si je ne suis pas connecté ! Selon la qualité de la liseuse en ligne, on perd parfois les meilleures caractéristiques du livre disponibles en téléchargement.

Pensons à nos lecteurs : ceux-ci n’ont pas tous, les moyens financiers  suffisants pour investir dans de coûteuses et éphémères tablettes tactiles ou de moins coûteuses mais tout aussi éphémères liseuses à encre électronique. Il est bon de rappeler que la bibliothèque permet aussi à nos publics les moins fortunés d’accéder aux ressources du savoir. Evidence qui ne l’est plus. Pour les autres lecteurs, on peut comprendre également leur hésitation : quel matériel choisir est une récurrente question que nous posent nos usagers !

Il est temps, chers collègues bibliothécaires, de se lancer dans des expérimentations en créant des espaces de découverte de la lecture numérique comme le NUMERILAB qui vient d’ouvrir à la Médiathèqe de Saint-Raphaël au sein du réseau MEDIATEM ou encore l’expérience Tab en Bib en Midi-Pyrénées… Allez voir… Il faut dépasser la phase « gadget technologique » pour nous recentrer sur nos sujets de prédilection : le développement de la lecture publique (qui est numérique aussi dorénavant), de la musique numérique (music me dans le Haut-Rhin) et de la VOD. Bref, continuer à assumer nos missions ancestrales : préserver la diversité d’accès à tous les types de ressources et de savoir.

Lire en streaming nécessite une connexion à Internet (coûteuse). Le téléchargement de livres numériques sur tablettes ou liseuses permet une lecture sans connexion. D’autre part, allez-vous sérieusement lire A la recherche du temps perdu sur l’écran de votre pc, mac ou autres portables ? Pour lire, de la littérature ou même d’indigestes rapports administratifs (pléonasme), nous avons besoin d’un certain confort. Et c’est peut-être cela que les lecteurs sceptiques envers la lecture numérique reprochent à la lecture sur écran ou sur de lourdes tablettes. Les livres ont cette faculté particulière : vous pouvez faire le poirier avec si vous le souhaitez (peut-être pas avec l’Universalis ! ), ou vous affaler partout : du canapé au pré proche de la rivière (Oh c’est beau !). La lecture nécessite une position confortable du corps.

Enfin, je deviens de plus en plus un adepte des liseuses électroniques qui sont des outils spécifiquement dédiés à la lecture. Je pense que proposer une offre de livres numériques sur un portail de bibliothèque ne suffit pas. Il faut accompagner, faire de la médiation vers ces nouveaux outils, démontrer que ce ne sont pas de jolis joujous technologiques mais de formidables petits appareils permettant d’annoter, rechercher et puis, lire aussi, et transporter facilement sa bibliothèque dans sa poche. La médiation peut passer par des animations avec les liseuses (lectures à haute voix), un renouvellement de notre antique club de lecture, la création de concours de lectures numériques avec ateliers d’écritures numériques, que sais-je encore ?

Les tablettes tactiles permettent la connexion à Internet pour faire de la lecture numérique mais aussi tout autre chose : lire son courrier, participer à un réseau social, jouer, découvrir des applications, se laisser distraire par des vidéos, ou les tweets humoristiques de vos amis. Notre attention est sans cesse mise à l’épreuve. Les expériences en cours (Numerilab et Tab en Bib) permettront de dire aussi les usages de nos publics. Vont-ils se servir des tablettes comme de simples accès à Internet, les tablettes remplaceront-elles les désormais vieux postes d’accès de l’espace multimédia ? 😉

Voilà quelques remarques d’un praticien… ne prétendant pas à l’exhaustivité… nous sommes dans une période de mutation très perturbante car elle nécessitera une reformulation totale de l’offre de formation continue de nos métiers, et une réorganisation de nos espaces, de nos services et de notre management d’équipe.

Je salue donc ce magnifique travail proposé avec ce PUBLIE. PAPIER. Et ce qui est toujours intéressant avec cette équipe là, c’est que vous pouvez suivre la naissance de ce nouveau projet, régulilèrement, en suivant le journal de bord.

A vous de jouer maintenant… C’est simple ou presque…

Franck Queyraud

et si on mettait le livre sur des écrans ?

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« Le livre n’est pas concurrentiel face à l’écran. Le cinéma l’a emporté, puis la télévision, aujourd’hui l’ordinateur. L’écran l’emportera toujours. »

Philip Roth… j’aime Philip Roth, je jubile souvent en lisant les livres de PR mais là… on a envie de lui répondre :

et si on mettait le livre sur des écrans ?

Mince, répète l’écho, ça existe déjà et ça s’appelle le livre numérique 😉

Il était plus drôle avant, ce cher PR…

Silence

Hommage à Michael Hart, le père du projet Gutenberg par Hervé Le Crosnier

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Le projet Gutenberg est orphelin : décès de Michael Hart

Michael Hart est décédé le 6 septembre, à l’âge de 64 ans. Il restera dans l’histoire de la culture numérique comme le fondateur du « projet Gutenberg », un projet coopératif majeur datant des débuts de l’internet et ayant réussi à créer un gigantesque fonds de livres numérisés offerts en partage.

Il y a quarante ans, en juillet 1971, le jeune Michael Hart reçoit son sésame pour utiliser, en temps partagé, l’ordinateur Xerox de l’Université d’Illinois à Urbana-Champain. Peu versé sur le calcul, il se demande ce qu’il pourrait bien faire d’utile à la société à partir d’un tel outil, limité, n’utilisant qu’un jeu de caractères en capitales, et très lent en regard des ordinateurs d’aujourd’hui. Il utilisera son temps pour recopier la « Déclaration d’Indépendance » des États-Unis, en songeant aux idées de bibliothèques universelles lancées par les « pères fondateurs » de l’informatique, notamment Vannevar Bush, Joseph Licklider ou Ted Nelson. Le fichier pesait seulement 5 kilo-octets, mais il du renoncer à sa première idée d’envoyer le texte à la centaine d’usagers ayant une adresse sur Arpanet, car cela aurait bloqué tout le réseau. Il le mit donc en dépôt sur un serveur pour un libre téléchargement (sans lien hypertexte, une notion qui n’existait pas il y a quarante ans). Même s’ils ne furent que six à profiter de l’offre, on considère que le premier « livre électronique » du réseau informatique avait vu le jour. Ce fut d’ailleurs le livre numérique le plus cher de l’histoire, Michael Hart ayant un jour calculé une valeur approximative de son accès à l’ordinateur et l’évaluant à 1 million de dollars.

Michael Hart a continué sur sa lancée pour rendre disponible la plus grande quantité de livres possible. Même si les premiers textes étaient difficilement lisibles, sans typographie, en lettres capitales, sans mise en page,… il n’a jamais dévié de sa volonté de rendre les œuvres disponibles à tous. Pour cela, il s’appuyait sur une caractéristique essentielle du document numérique : la reproduction et la diffusion via le réseau ne coûte presque rien, et même de moins en moins quand les machines et les tuyaux deviennent plus performants. Comme il l’écrivait encore en juillet dernier, « à part l’air que nous respirons, les livres numériques sont la seule chose dont nous pouvons disposer à volonté ». Et il anticipait sur les usages à venir au delà de la lecture, comme l’analyse du texte, la comparaison de mots, la recherche par le contenu, l’établissement de correspondances ou les études linguistiques ou stylistiques assistées par l’ordinateur.

Longtemps son credo fut celui du « plain vanilla ascii », c’est à dire de refuser toute mise en page afin que les textes soient accessibles à toutes les machines, par tous les utilisateurs. Ceci conduisait les volontaires du projet Gutenberg à un codage particulier des accents, placés à côté de la lettre concernée. Mais sa méfiance devant HTML a disparu quand le web est devenu le principal outil de diffusion des écrits numériques : l’universalité passait dorénavant par le balisage, et l’utilisation de UTF-8, la norme de caractères qui permet d’écrire dans la plus grande partie des langues du monde.

Comme son projet, disons même sa vision, était généreuse et mobilisatrice ; comme il possédait un grand sens de la conviction et de l’organisation et proposait un discours radical, il a su regrouper des millions de volontaires pour l’accompagner dans sa tentative de numériser le savoir des livres. Des volontaires qui ont commencé par dactylographier les textes, puis utiliser scanner et reconnaissance de caractères, mais toujours incités à une relecture minutieuse. On est souvent de nos jours  ébahi devant les projets industriels de numérisation. Nous devrions plutôt réfléchir à la capacité offerte par la mobilisation coordonnée de millions de volontaires. Construire des communs ouverts au partage pour tous répond aux désirs de nombreuses personnes, qui peuvent participer, chacune à leur niveau, à la construction d’un ensemble qui les dépasse. Dans le magazine Searcher en 2002, Michael Hart considérait cette situation comme un véritable changement de paradigme : « il est dorénavant possible à une personne isolée dans son appartement de rendre disponible son livre favori à des millions d’autres. C’était tout simplement inimaginable auparavant ».

La volonté de Michael Hart lui a permis de poursuivre son grand œuvre tout au long de sa vie. S’il fallut attendre 1994 pour que le centième texte soit disponible (les Œuvres complètes de Shakespeare), trois ans plus tard la Divine Comédie de Dante fut le millième. Le projet Gutenberg, avec ses 37000 livres en 60 langues, est aujourd’hui une des sources principales de livres numériques gratuits diffusés sous les formats actuels (epub, mobi,…) pour les liseuses, les tablettes, les ordiphones, et bien évidemment le web. Les textes rassemblés et relus sont mis à disposition librement pour tout usage. La gratuité n’est alors qu’un des aspects de l’accès aux livres du projet Gutenberg : ils peuvent aussi être transmis, ré-édités, reformatés pour de nouveaux outils, utilisés dans l’enseignement ou en activités diverses… Le « domaine public » prend alors tout son sens : il ne s’agit pas de simplement garantir « l’accès », mais plus largement la ré-utilisation. Ce qui est aussi la meilleure façon de protéger l’accès « gratuit » : parmi les ré-utilisations, même si certaines sont commerciales parce qu’elles apportent une valeur ajoutée supplémentaire, il y en aura toujours au moins une qui visera à la simple diffusion. Une leçon à méditer pour toutes les institutions qui sont aujourd’hui en charge de rendre disponible auprès du public les œuvres du domaine public. La numérisation ne doit pas ajouter des barrières supplémentaires sur le texte pour tous les usages, y compris commerciaux… qui souvent offrent une meilleur « réhabilitation » d’œuvres classiques ou oubliées. Au moment où la British Library vient de signer un accord avec Google limitant certains usages des fichiers ainsi obtenus, où la Bibliothèque nationale de France ajoute une mention de « propriété » sur les œuvres numérisées à partir du domaine public et diffusées par Gallica… un tel rappel, qui fut la ligne de conduite permanente de Michael Hart, reste d’actualité.

Le caractère bien trempé de Michael Hart, sa puissance de travail et sa capacité à mobiliser des volontaires autour de lui restera dans notre souvenir. Les journaux qui ont annoncé son décès parlent à juste titre de « créateur du premier livre électronique ». C’est cependant réducteur. Il est surtout celui qui a remis le livre au cœur du modèle de partage du réseau internet. C’est la pleine conscience qu’il fallait protéger le domaine public de la création des nouvelles enclosures par la technique ou par les contrats commerciaux qui a animé la création du Projet Gutenberg. Michael Hart n’a cessé de défendre une vision du livre comme organisateur des échanges de savoirs et des émotions entre des individus, mobilisant pour cela des volontaires, le réseau de tout ceux qui aiment lire ou faire partager la lecture.

Caen, le 10 septembre 2011
Hervé Le Crosnier

Texte diffusé sous licence Creative commons

Le Baiser de la Matrice continue… une expérience de lecture autour de la Recherche de Marcel Proust

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En juillet 2008, je consacrais un billet pour évoquer un projet fou : faire lire A la recherche du temps perdu de Marcel Proust par des lecteurs internautes.

Le principe :

« Le baiser de la Matrice » est un projet qui met en oeuvre une organisation de lecteurs, une société liée par un objectif commun, un territoire nouveau qui regroupe des gens du monde entier lisant en français. Ils ont une technique commune de lecture : ils se filment avec leur webcam en lisant sur leur ordinateur une page de « A la recherche du temps perdu » de Marcel Proust, proposée par une Matrice. De Papeete à Kinshasa, en passant par Bobigny, la Matrice gère en temps réel la distribution de textes, la diffusion d’informations pour conquérir de nouveaux lecteurs, le montage chronologique du film, et la consultation de celui-ci à tout moment. L’ambition de ce projet est la fabrication de cette Matrice, définie autour de pages, de secteurs de lectures, de pays, de fuseaux horaires qui permet à 3424 personnes de lire la Recherche avec une autre vision du temps.

Je relaie ici l’appel de Véronique Aubouy, initiatrice du projet et qui donne le résultat à ce jour :

« Le baiser de la Matrice fonctionne depuis 853 jours ;

2433 pages (sur 3424) ont été lues, soit 71,06% de la Recherche par 972 lecteurs différents ;

La durée intégrale du film est à ce jour de 128 heures 48 min et 11 sec ;

Mais sur 2357 inscrits, 1385 n’ont pas encore lu leur page !!!

Néanmoins 71,06%, cela signifie que nous approchons d’un dénouement…

Afin de fêter dignement cette fin du Baiser de la Matrice, je propose à ceux qui l’ont déjà fait de recommencer cette expérience, et à ceux qui se sont inscrits de se lancer enfin…

Avec cette idée de terminer l’oeuvre, que dans chaque plan, on sente – comme on sent dans les dernières pages de La Recherche la jubilation du Narrateur qui a trouvé son roman – une joie et une envie de finir en beauté !

Cela peut se traduire en images, en mots. Soyez libres et joyeux, profitez de cet espace de partage festif qu’est devenu ce livre lu par vous tous.

J’ai souvent pensé à Marcel Proust pendant ces 853 jours, pensé combien Internet lui aurait plu, son petit ordinateur portable posé sur ses couvertures. J’ai aussi souvent pensé à cette idée de départ du Baiser de la Matrice, ce rêve que tout soit lu en dix minutes, cette accélération folle, cet emballement du réseau. C’est ce que je vous propose aujourd’hui, que cette fin du Baiser de la Matrice soit un joyeux recommencement, et un plongeon dans le Temps Retrouvé.

Faites des lectures !

Faites suivre l’annonce du Baiser de la Matrice à tous vos amis et contacts « 

Si vous n’avez pas encore participé à ce film fou, Le Baiser de la Matrice entièrement créé par les Internautes et un logiciel, tourné, monté, enregistré en totale autonomie,c’est le moment de vous connecter sur Le Baiser de la Matrice

Bref, promis, on va y retourner…

Saluons cette expérience exemplaire. Et, nous, les bibliothécaires qui cherchons à renouveler la forme de l’antique club de lecture, qui nous demandons comment trouver de nouvelles formes pour faire l’apologie de la lecture… faire lire ou faire participer nos usagers, assurément voici une belle piste à suivre…

Silence

« Paradoxalement, en rompant avec l’idée de médiation et en revenant à l’idée même d’une constitution – mais affirmée telle – de la bibliothèque, numérique inclus, la lecture publique rehausse et réactualise ses métiers. » (François Bon, 2011)

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Le texte qui suit est la préface de François Bon au livre numérique de Lorenzo Soccavo, De la bibliothèque à la bibliosphère : les impacts des livres numériques sur les bibliothèques et leur évolution publié dans la nouvelle collection comprendre le livre numérique par un éditeur 100 % numérique : numerik:)ivres. On peut le commander sur le site immateriel.fr pour la somme faramineuse de 1,99 € en formats epub ou pdf. Un blog éponyme est associé à cette collection. L’ambition de celle-ci ?  » Dépassé le débat qui consiste à opposer le livre papier au livre numérique, voire prophétiser la mort du livre papier? Assurément. Et celles et ceux qui l’alimentent ou qui s’y complaisent ne se rendent peut-être pas compte à quel point, cela est, in fine, nuisible à la lecture tout simplement. Car l’enjeu est bel et bien là : papier ou numérique, les lecteurs seront-ils au rendez-vous ? « 

Préface :

Dans nos petites machines de poche, on n’emporte plus un livre, mais une bibliothèque. Et cette bibliothèque, nous la constituons nous-mêmes non plus dans l’idée de préserver ou sauvegarder, nous savons que la bibliothèque universelle est partout et en tout temps disponible : elle est l’histoire et la trace de nos recherches, nos désirs, et l’arbitraire de nos découvertes.

Alors le lieu qui incarnait collectivement la collection des livres, et leur survie dans le temps, l’histoire de leur genèse, la bonne santé de leur préservation, et la possibilité qu’on y ait accès, se réinvente dans une mutation aussi violente et riche que celle qui affecte l’objet même qui, depuis si longtemps, le fonde : le livre.

« Comprendre le livre numérique », c’est un intitulé fort : parce qu’il n’oppose pas la forme neuve (le numérique), à la forme héritée (le livre), parce qu’il y a ce verbe qui se veut prendre avec, non pas simplement le mode d’emploi, mais comment nous nous approprions l’objet neuf.

Et donc, que ce qui change, c’est lire. Ici le verbe central, ici le déport des usages.

C’est en cela que le travail ici présenté de Lorenzo Soccavo est neuf et remarquable. Tous les acteurs du livre numérique, dans son histoire récente, ont une dette à celui qui en fut un des premiers veilleurs – du point de vue de l’édition et de la publication autant que des supports et matériels – et un des premiers protagonistes, avec son livre Gutenberg 2.0. Prospectiviste du livre, que Lorenzo Soccavo, pour cette première intervention, se soit intéressé aux usages nés de la bibliothèque, est en soi un indicateur déterminant : avec le numérique, la lecture publique voit sa tâche démultipliée, et ses métiers réinventés. Et cela concerne aussi bien l’objet lui-même, là où s’assemblent dans des fichiers le texte, ses métadonnées, ses éléments complémentaires, que la façon dont on l’archive, le documente, en autorise l’accès – même à qui ne sait pas l’avoir sur sa route –, que cela concerne la sollicitation de l’usager, sa façon de le faire surgir sur son lieu numérique précis de lecture, et d’en initier les usages connexes, partage, recommandation, ou même simplement petite phrase recopiée et annotation privée, tant il s’agit avant tout de ce que nous devons depuis toujours à la lecture, en tant que découverte de soi-même, et de notre relation à l’autre par le langage.

On comprend, dans l’étendue et la profondeur de cette mutation, que les résistances soient proportionnelles : imaginer une bibliothèque sans livres ? Et pourquoi pas… C’est bien pour cela, que la mutation ne soit pas renoncement, mais réinvention, qu’il nous faut comprendre le livre numérique.

L’horreur, la bibliothèque sans livres ? Ou bien l’an passé, venant régulièrement à la bibliothèque Gabrielle-Roy (plaisir à écrire le nom de cette immense écrivain) de Québec, toute proche de mon domicile, et ouverte jusqu’au soir vingt-et-une heures ainsi que le dimanche, le réflexe de compter, sur les tables et les fauteuils, combien occupés à leurs ordinateurs, et combien avec livres ou magazines et journaux papier. L’ordinateur l’emportait toujours, et sans compter pourtant les postes fixes mis à disposition par l’établissement même. Constat renouvelé dans les bibliothèques universitaires où j’interviens cette année, Angers qui ouvre jusqu’à 22h30, en plein centreville, et Sciences Po Paris.

Constat complexe : on vient donc à la bibliothèque pour lire, travailler, orditer (nous n’avons pas encore inventé de mots pour ce temps passé à l’ordinateur, qui n’est ni réellement ni travail, ni simple loisir). Y a-t-il cependant une justification à ce qu’une ville mobilise moyens humains et techniques (locaux, serveurs, fauteuils) pour un temps partagé et social, mais qu’on ferait aussi bien à son domicile ?

Je n’ai pas la réponse. Mais l’activité intellectuelle, celle qu’on mène nécessairement avec un ordinateur, est une activité sociale, quand bien même cette socialisation (transmettre des photographies de famille) resterait privée ou bien (« faire une recherche », disent les collégiens et lycéens) purement fonctionnelle. Le temps ordinateur n’est pas forcément un temps solitaire (me régale à ces photos volées du travail en groupe sur écran), mais dans une société qui nous contraint massivement à l’individuation à outrance de nos activités, disposer de lieux qui les resocialisent peut effectivement s’inclure dans l’alphabet citoyen de la ville. En tout cas, là où on le fait, ça marche (et n’évacue pas la liste des problèmes qu’on peut se poser du côté des bibliothèques : les écrans des postes fournis face au mur pour que la personne chargée de la surveillance des salles voie à quoi vous vous occupez, anonymat et critères d’accès à la connexion, temps maximum et rotation, services en ligne, notamment pour ceux qui en sont démunis, aide aux CV et recherche d’emploi, etc.).

On comprend alors la réticence de fait, pour les bibliothèques, à proposer des services d’accès à distance. Londres est une ville gigantesque, et compte une vaste communauté francophone : la sélection de ressources numériques culturelles de l’Institut de France, comment ne pas en proposer l’accès à ses propres abonnés, s’ils ont une heure de transport physique pour venir à la médiathèque ? Seulement, à ce que j’en sais, l’Institut français de Londres est le seul à proposer ce service parmi ses quatre-vingts confrères, quand il ne s’agit techniquement que de régler un « proxy ». C’est affaire aussi de contenus : la bibliothèque de Sciences Po me propose l’accès à 15 000 revues en ligne. Mais que je clique sur « littérature », et je ne verrai surgir qu’une dizaine de liens, dont un seul en français (les Études balzaciennes) : non, mais imaginez l’équivalent pour l’astrophysique, la chirurgie du cerveau ou le droit international… N’empêche : à proposer l’accès à distance, la bibliothèque risque donc de vider ses salles, ou va-t-elle paradoxalement – en réimposant dans un contexte neuf son rôle citoyen –, les remplir d’une façon différente ? Et, d’un point de vue sociologique ou citoyen, là où les bibliothèques de comité d’entreprise (il y en a quelques survivantes, mais les livres les plus demandés sont ceux qui concernent le jardinage, les travaux à la maison, les bandes dessinées, les best-sellers) sont bien empêchées devant ces nouvelles formes individuées du travail, ce ne serait pas un enjeu essentiel que proposer ce lien à ceux qui ici partagent le territoire ? Quelle révélation quand, à la médiathèque de Bagnolet, au bord tout proche de Paris, nous avons ouvert il y a deux ans un atelier blog tout public…

Seulement voilà : il faut entrer dans une logique de risque. Avec pour les bibliothèques, tout aussi immédiatement, la surface immergée de ce risque, très clairement défini : à porter sur l’écran les contenus culturels qui sont le coeur de mission, mais qui supposaient jusque-là un objet physique de repérage et d’échange – le livre (ou les autres propositions matérielles de la médiathèque : le disque, le film, l’affiche, le jeu ou le jouet éventuellement, l’oeuvre d’art aussi). La lecture dématérialisée (passons sur le mot, nous qui avons à gérer les accès, fichiers ressources ou métadonnées savons bien qu’il s’agit d’objets tout aussi précis et matériels), que perd-elle par rapport au contact physique avec le livre ? Lit-on aussi avec l’épaisseur, la fixité des blancs, se constitue-t-on son repérage mental des siècles et des oeuvres sans repérage spatial dans un lieu pensé classé ? Nous sommes – ceux de ma génération – évidemment entièrement issus de ce support : l’imaginaire, le rêve, le rapport au monde sensible (mais hors de notre perception), nous l’avons constitué par le livre, au détriment même d’outils bien plus ancestraux, mais délaissés (le conte, l’oralité, la légende populaire, celle qui s’inscrivait dans la pierre même au temps des cathédrales), ou bien dans l’asynchronie provisoire d’outils existants, mais qui n’avaient pas encore fait corps avec l’écrit : ainsi, probablement, l’évolution d’une génération à l’autre de la capacité à mémoriser des images, quantitativement et sélectivement, ou bien l’acception de la documentation filmée comme partie intégrante de notre rapport au réel. Pour ma part, je savais lire lorsqu’à neuf ans, pour la première fois – en pleine guerre d’Algérie finissante et avant l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, j’ai vu la télévision.

On lit plein d’études sur ce qui se perdrait ou se disperserait de la lecture sur écran multi-tâches, ou bien sur la mémorisation d’une page vue numériquement : mais, la plupart du temps, ces études se propagent via des PDF réalisés par leurs auteurs au détriment de toute pensée ergonomique de la page lue. Le mot lecture me paraît même en tant que tel insuffisant pour les processus liés à l’enfance, dans le rapport triple à l’image, à l’histoire, et au temps (le conte oral savait articuler les trois). Des années, j’ai vu chez moi des livres de Claude Ponti traîner par terre, et d’autres l’ont constaté : lire Ponti, pour un enfant, inclut de s’asseoir dessus lorsqu’il joue après le livre. Je ne m’assieds pas sur mes Beckett : mais, que je lève le nez (et j’ai pourtant tout Beckett numérisé dans mon ordinateur, usage privé seulement bien sûr !), ils sont de champ sur mes étagères. Le rapport à l’objet livre dépasse la question de la lecture pour en faire un lieu symbolique, et le repère d’une fixation très complexe.

Bien évidemment, il ne s’est jamais trouvé personne pour vouloir rompre ce processus : le web, là où il est riche, associe la médiation des supports qui lui pré-existent ou lui co-existent, en même temps que – oui, résolument oui – l’enjeu pour nous est d’investir les usages neufs, y compris ceux du plus jeune enfant (qui sait en général avant ses parents cliquer sur la petite icône minuscule pour qu’une vidéo passe grand écran), pour y recréer (au sens fort, d’invention, et pas simplement de portage), ce qui constitue une tâche bien plus vieille que nous-mêmes, en termes de transmission, et – là encore – privilège du risque. À qui appartient René Char ? Et comment conduire à l’inconnu et l’éveil sans René Char (Comment avancer sans inconnu devant soi ?) ?

Les bibliothèques sont formées de longtemps à manipuler ces complexités : de longtemps, ce ne sont plus des lieux de gestion de contenus, mais bien sûr des lieux de propagation raisonnée de contenus. L’éveil, la curiosité, sont de plus antinomiques de la culture marchande, qui dispose d’outils de masse bien plus lourds. L’atelier d’écriture, la résidence d’auteur, les soirées lecture (pas de mot spécifique pour désigner l’invitation faite à un auteur de venir lire en bibliothèque !) en font évidemment partie, et c’est même peut-être un nouveau pacte.

Alors, comment transférer cette pratique toute simple, une poignée de livres regroupés selon un thème qui fasse sens, résonne ou décale, sur le chemin des visiteurs – autrement que par une triste étiquette « coup de coeur », quand ce dont on dispose c’est seulement d’un écran ? Mais écran qui peut être multiplié par huit cents (BPI, à Beaubourg), ou bien même, dans une fac, le simple petit écran d’accueil appelant l’étudiant à inscrire son adresse mail, sur son ordinateur portable, pour accéder aux ressources en ligne, comment s’en saisir pour accomplir la mission citoyenne qui justfie l’établissement ?

La profusion est évidemment massive, réjouissons-nous que ce simple fait revalide vers le haut les métiers de proximité, accueil, orientation, formation qui sont le lien direct du bibliothécaire à l’usager. On peut aller lire sur Gallica les corrections autographes de Baudelaire sur sa propre édition originale des Fleurs du Mal : mais qui y amènera discrètement celui qui, selon les dures lois de la sérendipité, ne sait pas à l’avance l’intérêt de la rencontre, et qui aidera à déchiffrer un document certes relevant de l’imprimé, mais dans une distance radicale à nos habitudes de lecture : toujours se souvenir que le livre de poche, et notamment pour la poésie, est probablement l’objet le plus complexe qu’aura su bâtir, à son plus haut, l’édition imprimée.

Temps de profusion, mais dernière idée : en elle-même, la profusion ne conduit pas à ravaler le bibliothécaire à la tâche de médiation – l’urgence de s’atteler à cette médiation des ressources numériques tend à occulter qu’elle n’est qu’un chaînon peut-être mineur. Le lieu matériel de la profusion, suivre l’actualité quotidienne des négociations des grands établissements avec Google, reste la bibliothèque – et non pas une bibliothèque centralisée (comme ce qu’induisait l’idée du « dépôt légal »), mais la mise en réseau progressivement effective (et loin d’être finalisée) de l’ensemble des établissements gestionnaires de leurs ressources spécialisées. L’idée de lecture publique est d’autant plus rehaussée dans cette idée d’une profusion reléguant la sphère marchande, d’une interface obligatoire qu’elle était, à un des éléments parmi d’autres du bassin actif de ce que nous considérons par lecture. Chacun peut évidemment, depuis chez soi, et en seul clic d’une facilité déconcertante, recevoir sur sa tablette ou sa liseuse un livre numérique vendu par Amazon, iBook Store ou les autres, y compris désormais de nombreux libraires indépendants, qui savent organiser sur leur écran d’accueil tables thématiques et suggestions. Mais, avec l’accès à distance, la bibliothèque réinstaure à l’échelle de ses usagers, université ou ville ou territoire, la possibilité citoyenne de l’organisation de ces ressources : pas seulement la médiation d’un amas non défini et indéfiniment extensible de ressources, mais la constitution même de la bibliothèque qui rassemble en ce lieu physique ou virtuel ces usagers définis.

« Je vous supplie, pour signal de mon affection envers vous, vouloir estre successeur de ma bibliotheque et de mes livres que je vous donne », écrit La Boétie à Montaigne. Paradoxalement, en rompant avec l’idée de médiation et en revenant à l’idée même d’une constitution – mais affirmée telle – de la bibliothèque, numérique inclus, la lecture publique rehausse et réactualise ses métiers. Et peut pleinement, avec et hors du livre, justifier de sa fonction citoyenne et sociale, ce qui nous fait qu’on se sent parfaitement bien, à la bibliothèque Gabrielle-Roy de Québec ou à celle de Bagnolet et tant d’autres, à venir pour deux heures s’installer avec son ordinateur portable non pas pour les livres qui nous y environnent, mais pour le faire ensemble et ce à quoi tous ensemble on travaille, qui passe par lire.

François Bon.

De nombreuses bibliothèques sont abonnées à www.publie.net, littérature contemporaine numérique, fondé par François Bon. Texte publié sous licence Creative Commons.

En espérant que la mise en valeur de cette préface vous conduise à télécharger le livre de Lorenzo Soccavo. Pas de commentaires supplémentaires à ce texte sauf les phrases ou mots soulignés par une mise en gras qui sont autant de pistes de réflexion qui bouleversent parfois quelques idées qui semblaient évidentes mais ne le sont plus à la fin de la lecture.

Enfin, je vous encourage à télécharger le dernier livre de François Bon : Après le livre et vous abonner au site publie.net qui propose de belles pistes sur la littérature d’aujourd’hui, une collection noire Mauvais genres, des textes du patrimoine ou bien encore une revue numérique de création : D’ici là

Silence… je lis…

Rester en mouvement : une lecture de « l’alternative nomade : sortir du consumérisme avec joie » de Thierry Crouzet (Publie.net, 2010)

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Cette critique est originellement parue pour  le numéro 6 de 2010 du Bulletion des Bibliothèques de France. Pour info, le BBF est désormais lisible – expérimentalement pour l’instant – en mode feuilletage (utilisation du site Issuu)  pour ce dernier numéro.

Rester en mouvement

On lit, en exergue de ce livre « numérique », accessible sur le site publie.net   : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. » Le célèbre fragment d’Héraclite illustre à merveille le principe des livres de Thierry Crouzet : celui d’un texte en perpétuel mouvement. La recension qui suit est celle de la version 3.5, intégrant les remarques faites par les lecteurs des versions précédentes et suscitées par l’auteur sur son blog « Le peuple des connecteurs  ».

L’alternative nomade, sous-titrée lors de sa première version « sortir du consumérisme avec joie », est dorénavant sous-titrée dans la nouvelle version « vers la complexité numérique ». Le texte né sur les réseaux a dorénavant une version papier (chez lulu.com) . Mais laquelle, de version ? Car, entre-temps, L’alternative nomade nouvelle version s’est divisée en deux sur le principe cellulaire pour donner un second opus : Propulseurs dans le flux. Sans le savoir, Thierry Crouzet ne nous facilite pas la tâche pour renseigner la zone 2 de l’ISBD ou le champ 205 d’Unimarc ! 😀 Mais ce n’est qu’une obsession de bibliothécaire ! 😀

Résumons : je possède donc trois versions : celle de publie.net (en tant qu’abonné) version 3.5 puis j’ai acquis la version iphone Propulseurs dans le flux, lu grâce à l’appli Stanza et enfin, acheté la version papier chez lulu.com (11 €, impression à la demande). Je vous rassure : j’ai eu trois lectures successives ; dans des lieux et sur des supports différents (maison et écran ; mobile et liseuse pour l’extérieur le plus souvent : le train, chez le médecin, bord de piscine 😉 ; enfin support papier pour partout…) (Ce paragraphe est un ajout à la version publiée dans le BBF… c’est ma version augmentée ! 😉 )

Vous avez dû mal à suivre ? Normal, le livre que vous vous devez de lire, chers collègues, évoque la révolution de l’écrit et de la transmission de la parole depuis l’invention du web et de ce que tout cela change pour tous en général et pour nos métiers en particulier.

À la fois projet politique individuel et libertaire et méthode de vie, cette alternative nomade nous propose – avec une grande force de conviction – de nous arracher au néant matérialiste et consumériste actuel pour inventer un nouveau nomadisme en voyageant dans l’écosystème de cette nouvelle terra incognita qu’est le Flux : « Cet espace autant informationnel qu’émotionnel où nous nous lions et nous relions constamment. » Le Flux a toujours existé : jadis, avec les différents supports de transmission de la culture ; aujourd’hui, grâce au web.

Une nouvelle économie du lien

Thierry Crouzet analyse autant les aspects positifs de ce que le web peut avoir de meilleur pour partager – il préfère le terme « propulser » – des informations (sur blogs, micro-blogging, réseaux sociaux) et conteste par ailleurs le pouvoir de certains (YouTube, Dailymotion, Google…) qui utilisent cyniquement cette envie de partage des individus pour mieux les contraindre à leurs services. L’alternative, ici, consiste à intégrer le mode nomade dans nos têtes : ne pas nécessairement nous fixer ad vitam aeternam sur un outil qui souhaite nous lier définitivement à lui en connaissant tout de nos intimités. Il convient alors de faire interagir nos paroles, nos passions et nos actes, grâce à une foule d’intermédiaires nouveaux : « Le Flux pulse constamment nos interactions. » Résistance et alternative sont les deux mots phares et joyeux de ce livre.

Vers des bibliothécaires propulseurs ?

Résumons rapidement, s’il est possible de résumer ce livre touffu où l’on rencontre allégrement : Bruce Chatwin et les aborigènes du Chant des pistes, Teilhard de Chardin et sa noosphère, le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi et ses expériences optimales, ou encore Tim Berners-Lee, l’inventeur du web avec Robert Cailliau. Avant le web, le contenu était « consommé » dans des lieux dédiés : librairies, kiosques de journaux, télévision, musée, théâtre ou… bibliothèques, créé par des figures reconnues (écrivains, musiciens, journalistes…) et mis en valeur par des professionnels bien identifiés (bibliothécaires, par exemple).

Avec le web, la profusion des contenus règne et perturbe nos modes d’appropriation et de consommation du savoir. L’information est devenue un fluide qui s’écoule perpétuellement. Horreur ! Réjouissons-nous, nous dit Thierry Crouzet. Aux traditionnels professionnels de la recommandation se sont ajoutés les propulseurs ! Qui sont ces propulseurs ? NOUS ! Qui propageons vers nos « amis » – via les réseaux sociaux mais pas seulement – des informations que nous trouvons importantes. Une nouvelle variante du bouche à oreille (le buzz ?) qui se moque parfois des traditionnels médiateurs. Lors de la révolte iranienne de juin 2009, Twitter, le site de micro-blogging, a relayé les messages des opposants au régime iranien en l’absence – forcée – des journalistes. Une véritable économie des liens dans toutes ses acceptions – pas seulement hypertextes – est née. Nous sommes passés de l’ère de la rareté de l’information à l’âge de l’Abondance.

L’auteur va parfois un peu loin : il considère dorénavant inutile de différencier, par exemple, le producteur d’information de celui qui propulse. Le propulseur est autant l’auteur d’un contenu que celui qui en parle ou le commente.

N’empêche, la lecture de cette alternative nomade, si elle est parfois déstabilisante pour nos professions, est souvent très enthousiasmante. Sûr que vous partirez rapidement en quête du Chant des pistes de Chatwin pour le lire ou le relire. Rien que pour cela, l’alternative nomade aura réussi son pari : celui de propulser autrement !

 FQ


« Le bibliothécaire est un peu le forestier du livre » Alain Pierrot et Jean Sarzana, 2010

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« D’ordinaire, en regardant bien le circuit du livre, on peut apercevoir le bibliothécaire au fond du corridor. Il est presque toujours cité le dernier, on sait qu’il est incontournable, mais comme il ne participe pas du marché – c’est un agent public, il conserve et il prête, il achète si peu – il n’est jamais au coeur des discussions d’actualité sur la marche du monde. Pourtant, il occupe une place à part dans la saga du livre – il est né avec lui, bien avant le codex, bien avant l’édition – et il a puisamment marqué son histoire. S’il ne vit pas au rythme incertain du marché, il accompagne la vie du livre sur la longue durée et sait prendre la mesure du fonds et de sa densité. A côté de sa mission patrimoniale de conservation, sa fonction le requiert d’assurer l’observation permanente et suivie des ouvrages. Le bibliothécaire est un peu le forestier du livre, il vit et raisonne à long terme et dans les deux sens, il se voit comme le dernier rempart. On a le sentiment qu’une muraille de Chine sépare éditeurs et bibliothécaires. Ils gagneraient à la changer pour un paravent japonais. » (page 26)

Comment ne pas être fasciné à la pensée d’être contemporain d’une de ces très rares mutations essentielles de l’écrit, aussi violente et profonde que celle du passage du rouleau au codex, avec son lot d’imprédictible ? écrit François Bon dans sa présentation du livre  Impressions numériques d’Alain Pierrot et Jean Sarzana, publié sur la coopérative d’auteurs : Publie.net. Allez, soyons un peu polémiques : on est fatigué de ces discours à la gloire seulement de l’argent et de l’industrie. C’est de civilisation qu’il s’agit. Et d’un paradoxe qui rend l’affaire complexe : il y a beau temps que le livre traditionnel est déjà affaire numérique, de bout en bout. Et dans le bouleversement actuel, les lignes de force et de partage rejouent des conflits culturels qui n’ont rien à voir avec la seule question du numérique.

Un livre magistral et indispensable à lire aujourd’hui (à télécharger pour 5,99 € sur publie.net ou sur epagine.fr) pour sortir des débats un peu stérile sur le support ou la numérisation du livre à l’identique tellement rassurante pour les personnes de l’ancien monde … Ceux qui veulent mettre des péages  et des applis de smartphones partout pour mieux contrôler le flux de paroles et d’actes, nés sur cette utopie dérangeante qu’est le web.

Les deux auteurs définissent et synthétisent les concepts et les problématiques, expliquent lucidement le rôle de catalyseur de Google et donnent beaucoup de pistes afin d’éclaircir l’horizon de la mutation en cours qui nécessitera la participation de tous les acteurs du livre. Craignant que « la bibliothèque ou la médiathèque perde son caractère lieu de vie qu’elle avait souvent réussi à créer », ils proposent :  » cet écueil peut être évité si les bibliothèques acceptent de jouer le rôle de pédagogue des nouvelles formes de lecture. » (p. 53)

Les premières expériences de prêt de livres numériques (chronodégradables sur plateforme reliée au site de la bibliothèque ou sélectionnés sur des liseuses empruntables) sont déjà en route dans quelques bibliothèques françaises. C’est un signe positif. Ouvrons les yeux et…

Propulsons…

Ajout du 1er novembre : le billet Bibliothéquer de Lambert Savigneux…qui écrit :

« Le livre et le bibliothécaire, il faudrait qu’il soit un pulsar à la marge du monde contemporain en son milieu et de tous cotés, qu’il propulse et ne soit pas juste un filtre au travers duquel le monde et ses livres passe, il y a tant de livres qui sont des bribes, des condensés de vie et qui dorment et parfois ne poussent pas leur premier cri, alors de passeur le bibliothécaire serait aussi observateur et son désir permettrait à des livres d’exister, pas uniquement les gros arbres de la forêt ni les mauvaises herbes mais les bosquets et les plantes fragiles des recoins et des clairières ; certains livres sont errants et d’autres poussent en rond, cachés ou protégés ils trouvent d’autres façons d’exister (festivals, circuits parallèles, internet etc,)mais la forêt est traversée de multiples flux, au détours on se trouve nez à nez avec des biches, un ours dort (hibernerait mais peut être repose) sous un amas de livres “morts” ou une congère inutile, leurre qui serait l’habitat de l’ours, des ruisseaux la traverse, des glaneurs-chasseurs, des amoureux la pénètrent interagissent, agissent le fou tout comme le forestier, » (la suite sur son blog)

Et la fin de son billet me ravit :

« Les livres pourraient être comme les fils d’un grand tapis qui relieraient les endroits de laine, les rêves d’écorce et les pensées végétales, les trous du ciel et les mottes de terre sur lesquels l’humain circule et glane- je dis qu’il faut mettre en doute le monde – la bibliothèque doit être ce lieu – et les enfants y viennent pour cette raison même et son contraire – car la curiosité pousse à connaitre, imaginer aussi bien le dedans que le dehors ; cet endroit ou des forces vives de création se manifestent – il faut pousser des ses bras ces reliures qui cachent les ouragans, l’esprit souffle n’importe où et l’homme sait qu’il doit rassembler ce que lui peut assembler – le bibliothécaire – nom de mammouth de Lascaux – n’est plus uniquement être de conservation mais d’agitation … « 

Bonne lecture,

Silence (et Lam)

En son temps, Alain Pierrot avait eu la gentillesse de me confier  les prémisses de ce texte sur La mémoire de Silence. Pour mémoire… et clin d’oeil amical.