revue des livres pour enfants

Une certaine tendance de la médiation en bibliothèque jeunesse

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Cet article est paru dans La Revue de Livres pour enfants n° 248 de Septembre 2009 sous le titre : Vers des médiathèques numériques ? Je reprends le titre que j’avais proposé à l’origine.

Une certaine tendance de la médiation en bibliothèque jeunesse

Cela fait un an et demi que nous sommes étonnés ! Un an et demi, que plus d’une centaine de jeunes de 8 à 15 ans qui ont pourtant une connexion Internet à la maison ou chez leurs « potes » viennent, chaque jour, à la médiathèque de Saint-Raphaël retrouvant leurs copains, sur un jeu en ligne (le mmorpg DOFUS [2]) en subissant nos règles, nos contraintes (c’est-à-dire seulement une heure par jour, sur le ou les serveurs que nous leur imposons) et nos cris d’orfraie s’ils franchissent les limites. Ce qu’ils font tous les jours, évidemment ! Pour la plupart, ils n’étaient pas abonnés à la médiathèque.

Comme beaucoup de bibliothèques, nous avons suivi et accompagné le développement du « multimédia » : d’une première logithèque à la création d’un département multimédia spécifique avec l’acquisition d’un logiciel (CD-line d’Archimed) gérant une centaine de cédéroms en réseau, disposés dans des tours mâtinées de quelques accès Internet bridés (pas de tchat surtout !). Du prêt de cédérom (plus de 700) : des jeux – forcément – ludo-éducatifs, d’aventures ou des méthodes de langues…sans ironie aucune ou presque… ça marchait… et puis ça a moins marché. Les courbes statistiques de la fréquentation se sont inversées vers 2005.

2005 ? L’arrivée phénoménale des blogs, du RSS, de MSN, des SMS, des premiers réseaux sociaux, du développement des accès ADSL à la maison. Que d’acronymes en forme de coup de pied aux fesses pour notre profession !

L’expérience du multimédia à St Raphaël : « tout en ligne».

Pourtant, nous ne devrions pas être étonnés ! Comme tous professionnels sérieux, nous avons pris le temps de la réflexion face à la révolution des accès aux savoirs  : observé les « mômes » sur Internet (nos listes de signets et de sites « sérieux », ils s’en moquaient…ayant vite pigé le concept des moteurs de recherche) ; remarqué – bien obligé – que les accès Internet envahissant les domiciles, les regards de nos usagers ne se portaient plus sur nos encyclopédies « papier » mais sur Wikipédia ou sur la première réponse obtenue par le moteur de recherche Google ; discuté avec les collègues d’autres bibliothèques ; participé à des journées d’études ; lu des enquêtes et trouvé que celle-ci : « les loisirs culturels des 6-14 ans» correspondait bien à ce que nous observions des usages de nos jeunes usagers ; compris qu’avec le temps notre belle médiathèque pourrait devenir une coquille vide de l’essentiel : son public. Le but de cette introspection : repenser la notion de médiation et la nature de nos propositions. Concrètement, d’abord, abandonner le réseau vieillissant de cédéroms ; puis ne plus en acheter et enfin, proposer une solution « Tout en ligne », grâce à une interface dédiée : la zone numérique jeunesse – porte d’accès à nos choix de médiateurs sur Internet. L’interface est découpée par tranche d’âge avec des liens vers les catalogues ou blogs de la médiathèque permettant de s’orienter rapidement. Chaque rubrique comprend des sous-rubriques selon les centres d’intérêt de la tranche d’âge concernée. Nous avons relayé les projets thématiques des collègues jeunesse comme celui de « la mémoire » cette année. Mise en ligne également sur le site de la bibliothèque, cette interface permet aux enfants de retrouver les sélections des bibliothécaires à la maison. Nous n’interdisons pas l’accès au site de jeux de TF1 mais incitons à d’autres découvertes. Ce que les parents nous disent apprécier. Dofus, le jeu en ligne est l’un des aspects de cette politique d’accès. Nous avons ouvert les portes des messageries instantanées et animons un blog pour les 8-15 ans nommé medi@zone avec des billets adaptés, « leurs » musiques (sur le site « légal » deezer) et parfois des contributions des jeunes (récemment un film de type « yamakasi » réalisé avec un portable ). Cet aspect de la participation des jeunes, de la parole de nos publics sur un blog ou un wiki de la collectivité est encore une piste à explorer et à baliser.

Retrouver notre place de bibliothécaires généralistes ?

La médiation est un axe qui devient de plus en plus central dans notre métier. Aujourd’hui, la question semble bien d’abandonner nos étiquettes de spécialistes pour redevenir des bibliothécaires plus généralistes. Quant à nos collègues, souvent plutôt colorés de littérature de jeunesse, de musique sérielle ou d’histoire du moyen-âge, ils doivent acquérir maintenant une touche supplémentaire : celle du multimédia. « Pourquoi l’apprentissage des technologies émergentes fait partie du travail de tous les bibliothécaires », est le titre de l’intervention donnée par Kathryn Greenhill, bibliothécaire à l’Université de Murdoch, citée sur le biblioblog Marlene’s corner : « Je n’ai pas le temps » est une des objections les plus entendues et Kathryn Greenhill recense vingt et une raisons d’utiliser les outils 2.0 dont « notre mission de base est la mise en relation de gens et d’informations ». L’expérience de Chermédia, de la BDP du Cher est exemplaire. Il s’agit de former les professionnels et bénévoles de ce département à tous ces nouveaux outils. Une belle dynamique pour en définitive réaliser des projets bien réels autour de la bibliothèque, redevenue un foyer d’accès au savoir. Reste à dialoguer avec les services informatiques de nos collectivités pour nous permettre d’accéder aux ressources.

Véronique Soulé le rappelait fort justement dans un précédent numéro de la revue des livres pour enfants, paru en 2002 : « Introduire Internet en bibliothèque c’est introduire une nouvelle façon d’accéder au savoir et à la culture ».

Quelle sera la valeur ajoutée par la bibliothèque ?

Une étude récente effectuée par l’IPSOS à la demande d’e-enfance nous apprend que 91 % des 9-17 ans utilisent Internet pour rechercher de l’information. 80 % pour communiquer avec leurs amis, 68 % à regarder des vidéos. 61 % des jeunes ont utilisé Internet avant 10 ans. Quelle sera alors la valeur ajoutée par la bibliothèque pour qu’elle continue à être un lieu attrayant et fréquenté ?

Toutes les enquêtes sur les usages d’Internet pointent la place centrale de la maison en ce qui concerne les accès à Internet. Offrir un ou plusieurs postes d’accès à Internet peut être un premier attrait statistique fort pour votre établissement mais peut mener vite à une gestion passive voire conflictuelle, d’accès à ces postes, si le seul projet est de donner accès à Internet ! (Même si la fonction « cyber-café » est très présente en bibliothèque). Il nous revient toutefois d’apporter de la valeur ajoutée à notre offre d’accès à Internet. Voici quelques grands types d’expériences possibles en médiathèque jeunesse.

Cette interface de la zone numérique jeunesse, déjà citée plus haut, est un exemple de mise en valeur des sites. Un gamin arrive à la Médiathèque : il s’installe sur un poste. Il file tout de suite sur You tube et visionne un combat de catch. Il a douze ans. Comment a-t-il pu connaître ce « sport » qui –reconnaissons-le – ne passe pas régulièrement à la télévision ? Ce type d’usage doit jouer le rôle d’un petit caillou blanc permettant de trouver le chemin numérique de ces enfants que nous appelons des « digital natives » ? Aurions-nous proposé, nous les passeurs de culture, ce thème spontanément ? Comment créer des liens entre ce gamin passionné de catch, sport où l’on fait croire que… et un auteur nommé Molière et sa pièce Tartuffe, où il s’agit de faire croire que… ? C’est la clé à trouver pour construire une passerelle entre nos savoirs déjà bien établis et des savoirs en devenir.

Pour valoriser le côté interactif des accès à Internet, à Saint-Raphaël, nous avons également modifié l’espace multimédia jeunesse en plaçant notre poste de contrôle horaire des accès au centre des enfants et en créant un coin ados comprenant mangas, comics, cédéroms en prêt et cubes-présentoirs pour présenter d’autres documents (romans, albums, documentaires ou DVD jeunesse). Bénéfice ? Une connaissance accrue des usages des enfants facilitant l’aide que nous pouvons leur apporter. Le succès rencontré avec le jeu Dofus a permis l’inscription de nouveaux abonnés (plus de cent nouvelles en trois mois) et une augmentation du prêt. Passé l’heure quotidienne de connexion à Internet, les autres potentialités de l’espace jeunesse attirent les jeunes.

Les blogs de bibliothèques ou de bibliothécaires jeunesse sont aussi un mode de médiation dynamique. Ils permettent de mettre en valeur les acquisitions et donner des conseils de lecture en favorisant les commentaires, de présenter les animations à venir ou passées, d’informer et de garder trace des activités, de publier des vidéos ou de faire des liens vers des ressources. Le blog Trollire des bibliothécaires jeunesse de Grenoble (38) accueille les critiques des livres lus par les enfants. Un des avantages du blog est de s’abonner à des flux RSS pour recevoir l’information directement dans sa boite mail et ainsi fidéliser son public.

Sur le même mode, le blog Je lis, tu lis, nous aimons de la médiathèque de Chassieu (69) est associé à un site Myspace et à une page Facebook. La bibliothèque jeunesse se dissémine ainsi sur tous les lieux susceptibles d’être fréquentés par ses jeunes lecteurs.

Dans le réseau des bibliothèques de Montréal, par exemple, c’est la forme du club de lecture qui est rajeunie. Dans un jeu animé par un détective virtuel, l’agent 009, les enfants découvrent des livres selon leur âge et un ensemble d’activités est organisé autour de la lecture. Des sites thématiques autour du polar sont disponibles. Sur Black polar, les enfants ont 15 minutes pour lire une courte nouvelle et percer l’énigme sous la coupe du commissaire Blondel.

Enfin, Blog à part de la bibliothèque de Toulouse parle aux enfants de littérature, de cinéma, de musique et de sorties. C’est une forme actualisée du journal, plus simple à réaliser et avec un ton et un projet éditorial adapté. Citons aussi le blog des bibliothécaires jeunesse de Toulouse où l’on se retrouve dans la cabine d’un vaisseau spatial !

Sur l’agglomération de Fréjus Saint-Raphaël, les deux médiathèques, les lycées et collèges du territoire local se sont associés pour créer un prix littéraire relayé sur le blog De la plume à l’oreille. Documentalistes et bibliothécaires choisissent cinq livres par an. Les enfants lisent, votent pour leur préféré et un ou plusieurs auteurs viennent rencontrer les enfants. Vous pouvez voir le résultat en regardant le podcast consacré à Erick L’Homme (et sa série Phaenomen) publié sur le site de la bibliothèque de Saint-Raphaël rubrique conférences en ligne .

Le comité départemental de lecture jeunesse du Var a ouvert très récemment un blog pour « prendre un virage contemporain » et surtout mettre à disposition les analyses de livres réservées jusqu’à présent aux professionnels membres du comité. Les blogs de bibliothèques publiques sont nombreux et regorgent d’idées. Touti Frouti est le portail qui les recense. Si vous ne savez pas par où commencez, jetez-y un œil !

En utilisant un agrégateur de fils RSS comme les univers netvibes, vous pouvez à votre tour présenter sur une plateforme mutualisée une sélection de sites et de blogs selon une thématique propre au projet jeunesse de votre bibliothécaire. Les éditions Milan ont été un des premiers éditeurs à saisir la pertinence de cet outil pour faire la promotion de leurs titres. D’autres ont créé des univers de ressources pour les collégiens fréquentant le CDI du collège Jean Malrieu de Marseille (13) ou encore un univers consacré aux jeux littéraires comme à la Médiathèque de Saint-Quentin en Yvelines (78). Pour d’autres idées, rejoignez le wiki Bibliopédia à la page « Bibliothèques sur netvibes ».

Wikipédia et Wiki-Brest n’ont plus besoin de démontrer leur succès et leur pertinence. L’approche collaborative permet de fédérer des savoirs et des compétences qui n’ont pas toutes été reconnues par un diplôme. Avec le web 2.0, la notion d’expert est remise à plat. Outils idéaux pour des projets d’écriture collective , deux wikis à destination des jeunes sont récemment apparus. Vikidia et Wikimini proposent aux enfants de 9 à 13 ans d’écrire des articles à la manière de Wikipédia, leur grande sœur. Il serait intéressant de se saisir de ce type d’outil en bibliothèque. La médiathèque de l’Astrolabe de Melun (77) propose un atelier d’écriture en ligne, Marelle, zone d’écritures poétiques , où tout un chacun peut participer.

Récemment, Christelle Membrey, professeur de lettres et formatrice TICE a ouvert un site coopératif basé sur l’outil Ning qui permet de créer un réseau social : Education Media Internet. Ce site au slogan « On ne naît pas internaute, on le devient » est un lieu d’échanges et de réflexions. Une adresse intéressante pour y participer éventuellement.

Enfin, proposer du jeu vidéo en ligne ou sur autre support est une possibilité qui permet de  donner une vision plus attractive de la bibliothèque auprès du public jeune. A nous ensuite de les attirer vers nos autres potentialités. Les jeux en ligne sont accessibles à tous : sur Dofus, nous utilisons à Saint-Raphaël la partie gratuite du jeu depuis plus de un an et demi sans que les enfants aient épuisé les ressources du jeu. Attrait supplémentaire : tous les deux mois, un combat « amical » en ligne a lieu avec les enfants de la médiathèque de Roquebrune sur Argens. Trois autres communes du 13 et du 34 nous rejoindront fin juin 2009 pour un combat élargi ! En janvier 2010, nous sommes huit bibliothèques à jouer ensemble. Depuis peu de temps, les jeunes usagers des bibliothèques de Montpellier jouent à la médiathèque sur les consoles de jeu les plus connues pour « partager, dialoguer, se concentrer, respecter autrui,  apprendre les règles, [qui] sont autant d’attitudes que les jeux développent. Elles sont déterminantes pour vivre harmonieusement avec les autres ». Reste à résoudre le problème des droits de prêt de ces nouveaux supports si nous souhaitons prêter ces jeux. Il faut reconnaître que les grands majors créateurs des jeux les plus utilisés ne semblent pas très pressés d’atteindre la niche bibliothèque ! Enfin, l’un de mes collègues bibliothécaires réalise un blog incontournable : Jeux vidéo et bibliothèque qui vous apportera de précieux éclairages.

Faire évoluer notre regard sur la médiation…

Le site Yahoo Questions Réponses interroge notre métier de façon intéressante. Il recueille en moyenne 2.3 millions d’utilisateurs par mois en France. On peut poser tout type de questions sur ce site collaboratif qui tient plutôt du forum ou de la messagerie instantanée. La qualité et la pertinence des services de questions/réponses proposés par les bibliothèques sont aux antipodes de cette approche. Ce serait formidable si des étudiants en information-documentation se penchaient sur ce site avec sa forme d’expertise très spécifique, où la médiation est faite par chacun pour tous.

Blogs, fils Rss, ou Wikipédia sont emblématiques de ce web inscriptible et collaboratif et créent une énergie positive. Toutefois, du côté des professionnels, nous devons nous autoformer en permanence face à ce web en bêta perpétuel. N’oublions pas que nos « digital natives » n’ont pas nos appréhensions face à la nouveauté, qu’ils ont besoin de balises et de méthodes pour naviguer en toute sécurité. Vous avez dit médiateurs ?

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